En nomade dans le désert marocain38 mn de lecture

Profitant des températures clémentes de l’hiver, je suis allé récemment me promener à pied dans le Sahara, où j’ai parcouru 120 kilomètres en 5 jours de marche à la mode nomade. Je te raconte?

NB : les renseignements pratiquent figurent comme d’habitude en fin d’article, accessibles depuis le sommaire.

Par ailleurs, et même si les trois premiers chapitres participent pleinement du voyage, le trek ne débute réellement qu’au point 4. Je ne t’en voudrais donc pas si tu sautes le début pour aller tout de suite au désert!

Sommaire

Du désert

DESERT (dezεR), n.m. — V. 1170 ; bas lat. desertum, lat.clas. deserta, desertus. → 1. Désert. Lieu sans habitant.

Voilà pour la définition générale.

Moi, depuis toujours, quand j’entends le mot « désert », c’est au Sahara que je pense. Pas au Mojave ni à l’Atacama, pas au Wadi Rum, pas au Kalahari. Non. Au Sahara. Systématiquement.

Et bien sûr, tant qu’à cultiver le cliché, à ses immenses dunes de sable qui n’en constituent pourtant qu’une petite partie, à peine un quart, mais qui me fascinent de longue date.  

C’est d’ailleurs pourquoi, en 1992, quand Nouvelles Frontières m’avait proposé de travailler dans le Sud tunisien, j’avais alors sauté sur l’occasion avec enthousiasme.

Il y a déjà plus de trente ans. Vertige du temps qui file. 

Durant toute une année, je me suis promené autour de Tozeur, à la rencontre des paysages sahariens : l’immensité blanche et salée des Chotts, les regs caillouteux après Douz, les belles dunes de l’Erg oriental à Nefta, les escarpements rocheux des oasis de montagne, Chebika, Tamerza… 

A quoi s’ajoutait aussi le plaisir matinal et quotidien de la course à pied dans la plaine aride, avec le retour par la palmeraie entre les ânes, les carrioles et les lavandières berbères qui faisaient la lessive dans l’oued. 

© Magazine Géo n°178 décembre 1993

Beaux souvenirs. Desquels émerge également la contemplation journalière de la ville et de la palmeraie, dominées par l’Atlas, depuis la terrasse de l’hôtel Basma où j’aimais fumer en buvant un café.

Mais comme j’étais accaparé sept jours sur sept, et le plus souvent fixé sur l’hôtel, je n’avais jamais eu l’occasion de marcher ou de dormir plus d’une journée ou d’une nuit dans le désert. A mille milles de toute terre habitée.

Et j’étais donc revenu en France avec cette frustration, légère, mais persistante.

*

Par ailleurs, outre les dunes à perte de vue, le mot « désert  » m’évoque aussi le refuge ultime auquel aspire Alceste, chez Molière.

« Et parfois il me prend des mouvements soudains / de fuir dans un désert l’approche des humains ».

Parce que si je suis notoirement sociable, il arrive tout de même que mes contemporains me fatiguent. Et pas qu’un peu. 

L’automne dernier, j’ai donc songé qu’une petite marche saharienne serait idéale pour d’une part, fêter ces trente bougies soufflées loin des sables en y passant enfin plusieurs jours et plusieurs nuits, et d’autre part, faire une pause sociale fort bienvenue.

Au Maroc cette fois, pour changer.

Hop. Aussitôt pensé, aussitôt planifié – et déjà nous sommes fin février, c’est fou comme tout va vite de nos jours, non?

Aléas des voyages désorganisés

Au début, tout s’enchaîne parfaitement. Mon avion se pose sur le tarmac de Marrakech à la nuit tombée…

… le transfert est au rendez-vous à la sortie de l’aéroport et une demi-heure plus tard, après avoir longé les grillades de la place Jema el Fnaa, me voici déjà rendu à mon riad, non loin du célèbre Café de France.

Ça commence bien.

C’est le lendemain que ça se gâte.

Au guichet de la gare routière CTM , pour acheter mon billet pour M’Hamid via Ouarzazate. 

Le préposé m’oppose un refus désolé. La route est coupée à la hauteur du col du Tichka. A cause de la neige. Rien ne passe, pas même les voitures. Rien.

– J’ai rendez-vous à Ouarzazate cet après-midi. Vous êtes sûr que ça va pas se dégager?

Oui, oui, il est sûr. Le genre catégorique. Que faire? 

J’appelle mon contact, Brahim, guide de montagne qui m’attend de l’autre côté de l’Atlas. Il est au courant, évidemment, et bien embêté lui aussi, d’autant que les clients qu’il vient d’accompagner dans l’anti-Atlas sont coincés dans le sens inverse et risquent de manquer leur avion de retour. La tuile.

Cela étant, Brahim me dit que les ouvriers s’activent pour la réouverture de la nationale : il y aura peut-être un bus à 11h30. Il faut attendre. 

Ok. Je m’installe en enfilant des couches de vêtements supplémentaires – il fait un froid absolument glacial dans le bâtiment – et je bouquine le polar acheté hier à Orly.

Vers 11h00, en revenant des toilettes, je passe devant la porte du « Manager d’agence ». J’entre, salue poliment, viens aux nouvelles. Le directeur du site me confirme d’un air désolé que la route ne rouvrira pas de la journée. Décision officielle de fermeture. Peut-être demain, mais rien n’est moins sûr.

Je rappelle Brahim. Lui me dit que les travaux de déneigement sont en cours. Il faut patienter encore un peu. Bon. Qui croire?

Les faits, simplement. A 13h30, d’évidence, il n’y aura pas de départ aujourd’hui. Allez, ça suffit. Je préviens Brahim qu’on se verra demain, ‘nch’Allah, je sors de la gare et je marche pour aller me trouver un hôtel non loin.

Brahim m’a conseillé le Amani. J’y pose mes affaires…

… et je pars un peu au pif, faire un tour dans Marrakech. Voir par exemple les jardins de la Ménara parce que, en plus du temps à tuer, j’ai en tête l’image qui orne la couverture de mon petit guide, une vue emblématique : le palais cubique et son balcon devant le bassin aux eaux translucides, avec les crêtes enneigées de l’Atlas au loin. J’ai hâte de voir ça.

Hélas. Quand ça veut pas…

L’Atlas est noyé dans le mauvais temps, les eaux chargées d’alluvions sont jaunes et battues par le vent. Dépité, je bâcle le cadrage de ma photo et poursuis ma déambulation.

A la sortie du parc, je prends au nord est et je me dirige vers la Koutoubia, dont j’aperçois au loin le minaret qui me sert de cap.

Puis je franchis les remparts, je passe devant la Mamounia, retrouve le square Foucault à l’entrée de la place Jema el Fnaa, avec ses files de calèches et la forte odeur d’urine qui les accompagne. Je prends quelques repères pour plus tard, quand je serai de retour, notamment le restaurant local, Oscar Progrès, que m’a conseillé Brahim, puis je retrouve mon hôtel en fin d’après-midi.

J’ai crapahuté onze kilomètres m’indique mon téléphone. Principalement dans des zones peu propice au tourisme piétonnier. Je ne sais pas trop quoi penser de tout ce que j’ai vu.

De là, douche, couscous au restaurant attenant – aucun alcool à la carte – et au lit de bonne heure. En croisant les doigts pour le lendemain.

Et justement nous y sommes. Au lendemain. Quittons l’hôtel.

Et retrouvons notre gare CTM. Fébrile, forcément.

Au guichet, malheureusement, même réponse qu’hier par le même employé : la route est toujours coupée. Il me montre sur son téléphone des images spectaculaires : la couche de neige est impressionnante, j’en conviens. Mais ça ne fait pas mon affaire. Pas du tout. Alors quoi? 

Au téléphone, Brahim tente de me rassurer : la route va être réouverte. Il est en liaison avec je ne sais quel service. Faut attendre. Peut-être le bus de 11 heures. Et si pas de bus, Brahim? On verra peut-être avec un taxi. Bon.

Attendons. 

Vers 10 heures 45, un frémissement parcourt les voyageurs. Si la gare était déserte hier, il s’y trouve en effet aujourd’hui pas mal de touristes, en plus des marocains : un quatuor de filles de l’âge des miennes, la vingtaine passée, un couple de sexagénaires allemands, une mère belge et sa gamine, quelques autres en tenue de rando. Depuis le matin, on partage nos infos contradictoires.  Mais là, la rumeur semble confirmer qu’un bus est programmé pour Ouarzazate. Départ vers onze heures et demie. Je retourne illico au guichet.

– Le bus part finalement?

– Oui, pour M’Hamid direct, c’est bon.

– Super! Enfin. Un billet, s’il vous plaît.

– Vous avez votre réservation?

– Comment ça? Quelle réservation?

Celle que je n’ai pas faite au préalable – les autres ont acheté leur siège sur Internet, avant, et j’ignorais évidemment que je devais faire de même. 

Derrière sa vitre, l’employé de la CTM a tellement pitié de ma mine déconfite qu’il en passe au tutoiement.

– On va compter les places qui restent, me dit-il, et si tu peux monter, tu es le premier, pas de problème. T’en fais pas.

Je rappelle Brahim, qui me demande si ça va. Ben non ça va pas. Je lui raconte le coup de la réservation. C’est pas un problème, me dit-il. Ah bon? Oui, oui, il lui est arrivé la même chose à Ouarzazate. Il me conseille de rester pas loin du guichet. Je raccroche en lui disant que je le tiens au courant.

Il a raison. Bientôt, les choses s’accélèrent et se résolvent d’elles-mêmes : le guichetier – un bon copain maintenant, forcément, avec tout ce temps sympa qu’on a passé ensemble – me confie à un autre gars, qui me repasse lui-même à un troisième lascar en cravate, lequel me vend enfin mon viatique dûment tamponné, et hop, je franchis le sas, dépose mon sac en soute et grimpe dans le bus qui déjà se met en route. Ouf.

En route pour le Sud - par l'ouest

J’informe Brahim de notre départ par texto, puis je calcule que 4h30 de trajet plus tard, je devrais être à Ouarzazate vers 16 heures max. On tient le bon bout.

Mais, cependant que le bus sort progressivement de l’agglomération…

… j’ai l’impression qu’on ne prend pas la direction à laquelle j’aurais pensé. Ma boussole m’indique qu’on roule à l’ouest et Google map confirme : en fait de Ouarzazate, notre bus suit la direction d’Agadir par l’autoroute.

Agadir! On va contourner tout le Haut Atlas! 

Vois la carte. En rouge, c’est le trajet qu’on va se taper, en vert celui qu’on aurait dû faire sans les intempéries récentes. Vaillant crochet.

Nouvelle estimation de l’heure d’arrivée : 21 heures à Ouarzazate. Minimum. J’envoie un nouveau texto à Brahim pour lui demander combien d’heures de route il y a ensuite jusqu’à M’Hamid. Réponse : quatre heures et demie. Ok. Ça nous fait une heure du mat’ au terminus. Au moins. Et bien…

Allez, soyons fatalistes : ces déconvenues font partie de l’art du voyage. Et puis au moins, on est en mouvement. Ça vaut mieux que de rester coincé éternellement à la gare CTM de Marrakech, dans un mauvais remake d’Un jour sans fin.

Comme le paysage qui longe l’autoroute est pour l’instant sans grand intérêt, je gonfle mon petit oreiller de voyage et je pique un somme, à l’imitation de ma voisine et de ses adorables filles.

Après une halte sur une aire de station-service où errent des chiens indolents et mendiants, le bus reprend l’autoroute. Le paysage se fait plus vallonné, ponctué de villages ocres.

 Un peu avant Agadir, notre chauffeur prend la route de Taroudant. On traverse la ville d’Oulad Teima…

… et après Taroudant, on aperçoit enfin la direction attendue.

On longe longtemps des champs d’orangers qui tapissent la vaste plaine puis peu à peu le relief se redresse. Les collines sont semées d’arganiers, ces arbres endémiques du Maroc dont le noyau du fruit donne la précieuse huile d’argan.

A mesure qu’on grimpe en altitude, la neige apparaît peu à peu puis s’installe tout à fait.

On passe un col…

On redescend légèrement puis on parvient à Tazenakht, où on s’arrête pour une pause. J’en profite pour photographier ces camions trapus et surchargés que le bus a doublés dans la montée.

A l’intérieur du café, les voyageurs prennent du thé, ou carrément un tajine ou des grillades.

Je n’ai pas faim, je vais donc me promener un peu.

En voyant cet oued empli d’ordures, je grimace. C’était pareil autrefois à Tozeur : l’arrière de la médina qui donnait sur la palmeraie était un véritable champ d’épandage dont personne ne s’occupait. A part les chèvres, qui y butinaient les immondices. Aucune gestion des déchets. Je ne juge pas, je constate.

La ville est tout de même plus jolie que cette photo ne le laisse supposer, toute en arcades ocres autour de la nationale qui la traverse. 

Nous reprenons la route en montée. La neige refait son apparition et nous serpentons ensuite en descente. 

22 heures. Ouarzazate. Nous passons devant d’énormes studios de cinéma ceints de remparts à l’ancienne, ksars kitsch qui me font penser au Los Angeles des années 30, puis nous entrons en ville.

A la gare routière, je fouille la petite foule du regard, cherchant à apercevoir Brahim. Je le reconnais grâce au chèche bleu cobalt qui lui entoure le crâne. Il me demande si ça va, pas trop fatigué? 

Curieusement, non. J’ai même trouvé le trajet agréable, finalement, à contempler tous ces différents paysages.

Le bus repart dans la nuit, vidé de la plupart de ses passagers. Brahim, soucieux de mon bien-être, me donne du pain et me dit qu’il a prévenu de notre retard : on trouvera un repas à notre arrivée. Cool. 

Nouvelle pause dans un café, vers minuit. 

C’est beau, une station-service, la nuit. Non?

Nous passons Agdz, puis Zagora – belle ville ocre très éclairée – et enfin, à deux heures, le bus nous dépose à la demande de Brahim avant M’Hamid, à un carrefour.

De là, nous marchons deux cents mètres à la frontale et nous entrons dans un campement.

Nous y sommes accueillis par Idir, qui nous a préparé une bonne omelette fort bienvenue. Et du thé à la menthe.

Sur quoi, je regarde la montre – 2h25 – et je salue la compagnie avant d’aller au lit pour quelques heures de sommeil.

Bounou - Boughbra

Au matin, je découvre un peu mieux où nous sommes : à la caravane « Rose des sables », à Bounou.

Cette « caravane » est un ensemble de petites cases en pisé recouvertes de gros tissages à la manière des tentes nomades, au milieu de bâtiments plus importants qui abritent des salles à manger, une cuisine ou les sanitaires – extrêmement rustiques – que j’ai découverts hier soir.

Les salles sont destinées à accueillir des groupes, comme celui d’Allibert trekking qui termine son séjour aujourd’hui.

Je prends mon petit déjeuner avec Brahim, avec lequel j’avais eu quelques échanges sur Whatsapp depuis la France mais dont je ne fais réellement la connaissance que depuis hier soir et ce matin.

Je lui parle des groupes – vraiment pas mon truc – et lui demande si d’autres que moi viennent ici en solo. Brahim secoue négativement la tête. Il y a éventuellement des couples, ou des duos, mais très rarement des voyageurs solitaires. Il me confie que financièrement, ce n’est pas rentable pour le guide et les chameliers : dans le désert, la logistique pour une personne est la même que pour quatre. Or 4 personnes à 475 euros chacune pour six jours – transferts inclus depuis Marrakech – sans compter les pourboires, valent bien mieux que les 700 dont nous sommes convenus pour moi seul, et que je n’ai pas souhaité marchander parce que ça correspondait peu ou prou à ce que j’avais vu chez un autre guide, sur une base minimale de deux participants. Brahim a accepté, pour le plaisir du désert, mais beaucoup refusent, du fait de ce paramètre financier.

Je comprends mieux pourquoi les deux premiers guides que j’ai contactés sur Internet ne m’ont jamais répondu. 

Après le petit-déjeuner, je confie mon sac aux chameliers et je vais voir les dromadaires dans leur enclos.

Vers 10 heures, tout est calé. Nous partons sur la petite route qui longe la palmeraie.

Devant moi marchent Idir, cuistot, assisté d’Addi, jeune chamelier, ainsi que Brahim.

Les deux dromadaires sont incroyablement chargés : le concept de marche ultra-légère n’est pas encore passé par là… Cela étant, de l’eau et de la nourriture pour 5 personnes et 5 jours, ça fait un peu de volume, fatalement.

Tandis qu’Idir, Addi et les bêtes prennent par la route, Brahim et moi nous enfonçons dans la palmeraie.

Il a plu assez fort il y a deux jours. Les eaux qui descendent de l’Atlas, consécutives aux fortes chutes de neige, s’ajoutent aux mares qui courent les canaux d’irrigation.

Ici, l’oasis semble parfaitement exploitée.

Ailleurs en revanche, et notamment à l’approche du Drâa, elle est progressivement mangée par le désert.

Les intempéries récentes ont laissé place à un vent soutenu qui soulève de la poussière de sable haut dans le ciel. Ça donne une étrange qualité à la lumière du jour, un côté brumeux, tour à tour blanc, sulfureux ou orangé.

Nous parvenons sur les rives du Drâa qui, d’ordinaire, n’est qu’un lit de cailloux à sec. Aujourd’hui, j’assiste à un spectacle rare : l’oued est en crue.

Ce fleuve que nous allons longer un petit temps ce matin, puis délaisser avant de le retrouver dans deux jours, est le plus long du Maroc avec ses 1 100 kilomètres. Il prend sa source aux environs de Ouarzazate, sur les pentes du Haut Atlas, puis se jette dans l’océan Atlantique après avoir traversé le désert.

Pendant que Brahim discute avec un cycliste…

… je profite du réseau pour consulter Wikipédia, qui m’apprend du Drâa que « sa vallée comporte une partie habitée avec de nombreuses oasis dans le Drâa moyen, c’est la classique « vallée du Drâa » du Maroc touristique, et une partie désertique en aval de Mhamid el Ghizlane » – le secteur dans lequel nous nous trouvons.

Comme le débit du fleuve en crue est exceptionnellement important, nous sommes obligés de contourner par la ville de M’Hamid, dont les habitants vivent essentiellement de services administratifs liés à la forte présence militaire destinée à surveiller la frontière sensible avec l’Algérie – front Polisario oblige.

Un pont y a été construit récemment, lequel permet précisément de franchir l’oued lorsqu’il est en eau, comme actuellement. Avant sa construction en effet, et même si elles demeurent très rares, les crues coupaient la région en deux. 

Depuis le pont, je contemple ce spectacle rare, qui ne s’est pas produit ici depuis des années et se sera tari dans quelques jours.

Une femme occidentale, d’une soixantaine d’années, au volant d’un gros 4X4 poussiéreux, s’arrête à ma hauteur.

– Français? Quelle chance de voir ça, hein? C’est formidable!

Je lui souris, pouce levé en l’air. Elle repart, hilare, en me faisant un geste amical de la main.

Nous rejoignons Idir, Addi et les dromadaires sur la rive gauche. Sur la berge opposée, dans la brume de sable, les habitants de M’Hamid profitent de cet écoulement exceptionnel. La poussière soulevée par le vent rend le paysage atone, tout en aplats de pastels. J’aime beaucoup l’aspect un peu vieillot que ça donne à l’image.

Tournant le dos au fleuve, nous quittons progressivement la palmeraie.

Le vent de sable est très présent. Les yeux piquent et les dents crissent. Nous profitons de l’un des derniers bouquets de palmiers pour nous mettre à l’abri et manger un morceau.

Le pique-nique à la mode nomade, c’est du sérieux : on débarrasse les dromadaires de leur fardeau, lesquels en profitent pour aller brouter des dattes et s’éloigner un peu, on déplie matelas et tapis et tandis qu’Idir fait chauffer un frichti de légumes à la cocotte-minute, on boit un thé à la menthe, vautré comme des pachas. En clignant tout de même fort des yeux à cause de la poussière qui y est entrée malgré l’emballage de la tête dans le chèche.

 Le plus jeune des dromadaires – Jabbi – se fait la malle mais ses pattes avant entravées l’empêchent d’aller très loin. Remis en laisse, il proteste avec indignation : on dirait Chewbacca, dans la Guerre des Etoiles. Drôle.

Plus tard, repus et reposés, on repart dans le vent de sable. Pour avoir une idée de l’ambiance de cette première journée, clique sur l’image pour la mettre en mouvement.

Ça souffle, hein?

Reprenons la piste. On passe près d’un puits à sec…

… puis on marche dans un paysage qui change du précédent. De vastes plaques d’argile s’étalent à présent entre des petites dunes, auxquelles parfois s’accrochent des buissons de tamaris.

Marcher sur ces plaques argileuses est très agréable : ça ressemble beaucoup à la sensation qu’on éprouve sur les revêtements souples qu’on trouve au sol des jardins d’enfants, en ville. 

Bientôt, les dunes deviennent plus imposantes. Tandis que les chameliers et leurs bêtes serpentent entre elles, Brahim et moi coupons par le sable. L’humidité récente le rend plus compact que lorsqu’il est très sec, ce qui facilite grandement la marche.

L’aspect de ces buttes me fait penser à du daim.

J’ai le sourire : le paysage commence à ressembler à mon rêve saharien.

Nous marchons encore une heure, puis nous trouvons l’emplacement du premier bivouac. Bien à l’abri du vent, sur une plaque dégagée, au pied d’une grande dune piquetée de tamaris.

Le montage de la tente débute. On est loin de ma Plexamid : c’est un lourd chapiteau qui se dresse…

Je monte sur une dune pour voir si j’ai du réseau. Rien. J’avais prévenu chez moi que je risquais de ne pas pouvoir envoyer de message pendant quelques jours. Rien de grave. Comme le dit l’adage : pas de nouvelle, bonne nouvelle…

Mon téléphone ne me sert qu’à photographier le campement.

Idir prépare le repas, tandis que nous partageons une collation, avec un thé à la menthe. L’intérieur de la tente est très confortable et me fait un peu penser à celles que l’on croise chez Harry Potter.

Après le thé, je monte la petite tente prévue pour moi. J’ai besoin d’un peu d’intimité. 

C’est une Decathlon toute simple, plantée un peu à l’écart, et que j’inaugure me dit-on. Elle est neuve, en effet.

J’y étale mon fourbi, y fais une rapide toilette de chat à base de lingettes puis je retourne sous la grande tente pour le repas, au coucher du soleil.

Idir a cuisiné un tajine magnifique auquel je fais largement honneur.

Fruits en dessert et verveine dorée ensuite, avant d’aller palabrer autour d’un feu. Ici, le bois sec ne manque pas.

J’écoute la conversation berbère sans la comprendre, en profitant de la chaleur décidément unique que produit le feu de bois, qui plus est ici, extrêmement parfumé, avec des fragrances qui rappellent celles de l’encens.

J’essaie d’apercevoir les étoiles, et il y en a pas mal, mais le ciel est encore bien bouché. 

Puis la dernière bûche peu à peu se consume. Je rentre dans ma tente, me déshabille pour enfiler mon collant et mon sweat en mérinos, puis je m’allonge sous mon duvet ouvert en couette – il ne fait pas assez froid pour m’y glisser complètement ; mon thermomètre affiche quinze degrés sous la tente. Une étuve.

Le vent est en grande partie tombé mais une légère brise souffle encore : j’entends le sable très fin crépiter sur la toile. Du sable, il y en a partout, y compris dans la tente, poussière farineuse et ocre accumulée sur le tapis de sol.

Qu’importe, ça ne va pas m’empêcher de dormir  : ti mèn siouine – bonne nuit en berbère.

Boughra - Aït Ounir

Vers six heures du matin, je suis réveillé par un son caractéristique, que je connais bien et que j’aime beaucoup par ailleurs, mais dont je constate ici l’incongruité absolue : c’est celui de la pluie sur la toile de tente. Il pleut! Dans le désert! 

Je jette un oeil au dehors : quelqu’un, probablement Idir, a emballé les paniers sous une bâche de polyane. il fait encore nuit mais il y a des éclairs. Incroyable. La pluie est soutenue mais fine, rien d’un déluge.

Bon. Je me recouche et me rendors jusqu’au petit jour.

J’émerge une heure et demie plus tard. Personne ne semble levé sous la grande tente. J’en profite pour aller visiter, légèrement pressé, le pied d’une dune éloignée.

Le sable est encore mouillé de la pluie tombée en fin de nuit et la lumière est moins brumeuse, comme lavée. C’est beau. Silencieux. Paisible.

A mon retour, je croise Idir qui déambule parmi les paniers. 

Au premier plan, c’est Jaabi, le jeune dromadaire qui rappelle Chewbacca. Ecoute-le.

Sous la tente, Brahim m’attend pour le petit déjeuner. Je le rejoins en tailleur, songeant au passage que quelques étirements ne seraient pas du luxe. Avec la position au sol sans dossier, ajoutée aux six ou sept heures de marche d’hier, j’ai les fascias qui miaulent. 

Sur quoi, une heure plus tard, tout est emballé – y compris une vilaine ampoule qui s’est déclarée hier sur mon petit orteil gauche – et tant qu’à regarder mes pieds, je m’amuse de l’aspect criblé du sable mouillé. On dirait du crépi.

Deux avantages au sable humide : il rend la marche beaucoup plus facile, comme je l’ai déjà remarqué, et il est moins dispersé en nuages de poussière quand le vent – inévitablement – se lève à nouveau

Nous marchons dans un paysage moins dunaire ce matin. Marqué par des formes argileuses…

… ainsi que par la présence d’innombrables galets qui attestent que nous sommes dans l’ancien lit du Drâa, dont les eaux venaient autrefois jusqu’ici.

Je ramasse des cailloux noirs, lourds et criblés, certains ronds, d’autres en éclats, que je montre à Brahim. Lave? Météorite?

Brahim ne sait pas. Il en casse un : l’intérieur ressemble à du fer. Météorite, peut-être, dit-il.

Idir, qui s’y connaît, nous affirmera au pique-nique qu’il s’agit en fait de roches volcaniques. Dommage, j’adorerais trouver des débris d’étoiles filantes.

Tandis que nous avançons dans la steppe, je laisse volontairement mes accompagnateurs s’éloigner. 

J’ai envie de de me retrouver seul avec le paysage, même si celui-ci offre des perspectives un brin désolées – mais si photogéniques.

Plus tard, je rejoins mon équipage au bord du Drâa, toujours en eau, qui file sa course à travers le désert.

Je suis fasciné par l’opacité caramel de ses eaux.

Nous quittons le fleuve ensuite pour marcher au sud-ouest, en rencontrant au passage un troupeau de dromadaires qui broutent les tamaris.

Nous avons croisé un berger hier soir, qui circulait à moto et avait perdu deux de ses bêtes. Apercevant notre tente, il était venu nous demander si nous les avions vues. En l’occurrence, non. J’imagine qu’elles venaient peut-être de ce groupe. Je ne sais pas, en fait.

A la faveur d’une pause fruits secs, je m’amuse à photographier les deux seuls insectes du désert que j’ai croisés jusqu’à présent.

Le premier est une grosse fourmi qu’on dirait chromée, fière guerrière en armure.

Il s’agit de la fourmi argentée du désert, cataglyphis bombycina, petite merveille extraordinairement adaptée à son environnement, notamment quand les températures de surface grimpent à plus de 70 degrés. Elle est en outre l’un des insectes les plus rapides du monde – et pour l’avoir vue cavaler, je confirme.

La deuxième est ce scarabée noir, présent en grand nombre, dont les élytres ont des allures de bouclier africain.

Il s’agit du ténébrion, Onymacris unguicularisun coléoptère lui aussi remarquablement acclimaté : les protubérances sur son dos lui servent à récupérer l’humidité et ses longues pattes arrières lui permettent, outre de faciliter sa mobilité dans le sable, de se positionner cul en l’air, tête en bas, pour collecter le brouillard matinal.

C’est curieux ce nom vernaculaire, ténébrion. On dirait celui d’une créature magique sortie tout droit d’un roman de Fantasy.

Il y a bien entendu d’autres espèces, mais pour l’instant, hormis deux lézards communs – blancs tirant sur le jaune – particulièrement farouches et que je ne suis pas parvenu à photographier, je n’ai pas croisé d’autres animaux que les deux précédents.

Reprenons notre marche.

Le vent se lève, particulièrement soutenu, tandis que nous entrons dans un secteur de dunes hérissées de tamaris.

Nous marchons encore une heure ou deux…

… puis, à la faveur d’une dune plus haute que les autres qui nous abrite du vent de sable, nous nous nous arrêtons pour monter le camp.

Malheureusement, le temps de commencer à planter les premiers piquets –  les sardines sont des morceaux de fer à béton, travaillés à la masse et à la meule – le vent tourne et la tente se retrouve secouée par de violents courants d’air. Le montage est rock n’roll, mais à quatre pour quatre coins, on parvient à stabiliser l’ensemble.

Et déjà, la cocotte-minute d’Idir fait chuinter ses filets de vapeur odoriférante – légumes et épices – tandis que Brahim et moi buvons un thé en grignotant des cacahuètes et des raisins secs, un oeil sur la lourde toile qui enfle et désenfle au gré des rafales.

A un moment, je vois Mimoun, le plus âgé des deux dromadaires, passer sur l’horizon sable et se découper dans l’ouverture. Je prends aussitôt la photo qui sert d’illustration globale à cet  article, très emblématique de ce trip saharien.

Le voici de plus près, Mimoun. Placide pépère.

Je n’ai jamais passé autant de temps en compagnie de ces drôles d’animaux. J’en profite d’ailleurs pour remarquer, amusé, que leurs crottes, qu’ils sèment un peu partout autour des tentes, sont absolument semblables à des dattes. Fraîches, on dirait des medjoul. Je le dis à Brahim, qui se marre. Faut pas confondre, hein?Non, vaut mieux pas, hé hé.

Après le repas, nous partons tous les deux marcher dans les dunes. Lui pieds nus, moi en baskets à cause de la double peau que j’ai mise sur mon ampoule et que je n’ai pas envie de perdre : si ça se produisait, il faudrait de nouveau frotter l’orteil à vif avec un kleenex imbibé de gel hydroalcoolique. C’est moyennement ludique.

Mais les chaussures n’arrêtent pas le sable. Surtout aussi fin. Je m’arrête régulièrement pour les vider, ainsi que les chaussettes qui en contiennent autant, sinon plus.

Je me rends compte à cette occasion que la double-peau tient parfaitement. Je me déchausse donc, savourant enfin cette libération.  Le sable est tiède en surface et frais quand on s’enfonce à flanc de dune, jusqu’à mi-tibia.

Cette promenade sablonneuse est très agréable, en dépit du vent. Il fait doux, voire chaud – 25 ou 26 degrés – quand on est à l’abri, protégés par les tamaris par exemple, dont les racines retiennent le sable et forment des espèce d’îlets.

Ces racines, généralement très développées, absorbent l’eau et exsudent des sels très fins qui se cristallisent sur les feuilles, ce qui explique que Mimoum et Jaabi en raffolent et les broutent dès qu’on s’arrête à leur couvert.

Un gros tamaris signale aussi qu’une nappe phréatique est présente à faible profondeur et que ça peut être un bon endroit pour creuser un puits.

Certains troncs sont conséquents, mêmes vaincus par le désert implacable. 

Entre autres plantes remarquables, on trouve également la Zygophyllum gaetulum.

Ses follicules sont chargés d’un liquide légèrement jaunâtre, très aqueux, dont j’imagine qu’il alimente en eau les animaux qui peuvent le consommer sans risque. 

C’est assez difficile de trouver des informations à son sujet qui ne soient pas éparpillées : j’ai découvert après coup, à mon retour, en rédigeant ce paragraphe, qu’elle est très utilisée en médecine traditionnelle marocaine, pour ses différentes propriétés qu’étudient les pharmacologues.

Je suis également fasciné par ces bouquets de grandes herbes qui poussent à même le sable mobile des dunes.

C’est l’Alfa, dite aussi « herbe à chameau » au sujet de laquelle j’ai trouvé des informations intéressantes sur ce site.

Je passe de longs moments contemplatifs à observer les formes que prend le sable. Sculptures de vent.

Je me régale de la lumière qui baisse peu à peu, renforce les couleurs et allonge les ombres.

Nous regagnons le camp où je monte la tente, aidé par Addi et Brahim qui mettent un point d’honneur à ne pas me laisser me débrouiller tout seul. 

J’y étale mon bazar…

… avant de ressortir profiter du coucher de soleil.

Le vent est retombé vers six heures et demie, comme hier. Il fait doux. Je savoure longuement, les orteils en éventail face au couchant.

Couscous ensuite. Idir nous a gâtés. Succulent. Roboratif. Tout pour plaire après une journée de marche.

La soirée se termine comme hier, avec une verveine autour d’une bûche de tamaris – qui ressemble à un dragon – tout cela sous un ciel un peu plus étoilé que la veille et de bon augure pour la suite. 

Aït Ounir - Erg Zahar

J’ai vu des traces au matin sur le sable encore humide, qui m’ont fait penser aux broderies que l’on retrouve en galon sur les vêtements berbères. Un lézard probablement, dont le ventre a laissé ce sillon frangé par les griffures latérales de ses pattes. Peut-être le fameux poisson des sables?

Sur le cliché qui suit, on reconnaît les empreintes du ténébrion.

Une fois pris notre petit-déjeuner – mes compagnons de route adorent saucer du pain et du Kiri dans de l’huile d’olive, je préfère quant à moi, classiquement, la confiture sur le pain trempé dans le café instantané – nous plions une nouvelle fois le camp.

Et nous reprenons la marche.

Je m’amuse de ces traces hybrides – un pied d’homme, un autre de dromadaire – parfaite représentation des deux tandems sahariens qui marchent au loin, devant moi, en direction de cette très haute dune, sur l’horizon, que m’a montrée Brahim ce matin.

C’est là que nous serons dans l’après midi, dans l’Erg Zahar – un erg est une zone sableuse et dunaire, dans le Sahara. 

Pour l’heure, nous arpentons un curieux paysage criblé de cratères circulaires.

Puis ces bunkers s’effacent et nous avançons dans une vaste plaine argileuse…

… dont les craquelures me rappellent celles, immergées, que j’ai vues au fond des cenotes du Yucatan.

A dire vrai, c’est la sensation souple, au toucher, qui m’y fait penser, autant que l’aspect de mosaïque.

Cela étant, je me rappelle également mes plongées mexicaines parce qu’ici, nous faisons à peu près les mêmes rencontres que dans les puits sacrés des Mayas.

Ainsi Brahim m’emprunte t-il mon bâton pour gratter le sable…

… et dégager la partie supérieure d’une boîte crânienne. Vraisemblablement celle d’un enfant, vue la taille. 

Il la replace ensuite et la recouvre délicatement de sable, de nouveau, puis il m’explique qu’il est fréquent de trouver des restes humains dans ce secteur autrefois très fréquenté.

Ici, les squelettes sont alignés, côte à côte, la tête à l’Est, dans des sépultures évidentes que l’érosion a mises au jour.

Les os sont presque réduits à l’état de fibres par la chaleur et les vents de sable.

Brahim me confie qu’il trouve assez souvent des ossements lors de ses treks. Parfois enterrés suites à des rites funéraires, comme à nos pieds, mais d’autres fois plus anarchiquement disposés : comme si les gens s’étaient décomposés là où ils étaient tombés, victimes peut-être d’épidémies.

Alimenté en eau par le Drâa, à une période où tout n’avait pas encore été asséché par l’aridité désertique, la population de cette aire était nombreuse. En témoigne la quantité très importante de fragments de poterie que l’on trouve partout.

En regardant la très vieille trace de ces canaux d’irrigation…

… ou bien ce tumulus riche en morceaux de céramique, possible ruine d’une maison en pisé et en galets…

… je tente d’imaginer la vie telle qu’elle devait se dérouler ici, il y a encore quelques siècles.

Va t’en savoir pourquoi, ma rêverie prend la forme de ces vieilles affiches murales qu’on avait à l’école élémentaire, quand j’étais gamin, et qui me fascinaient.

Pour une approche historique rapide et globale du peuplement du Sahara, je te recommande la visite de ce site personnel d’un passionné.

Revenons au soleil. Plutôt doux, à cette période. Fin avril, ce sera déjà intenable. Quant au plein été, évidemment, mieux vaut éviter, et ce n’est pas cette luxuriante plante verte qui démentira.

Sur notre chemin, la plaine laisse peu à peu la place au sable. 

Des dunes barkhanes apparaissent, de plus en plus nombreuses, en forme de croissant allongé dans le sens du vent. 

Et bientôt, nous ne marchons plus que sur du sable, en ligne droite à travers les dunes… 

… tandis que qu’Idir, Addi et les dromadaires contournent les buttes autant qu’ils le peuvent – il est en effet compliqué pour les bêtes, chargées comme elles le sont, de grimper dans les pentes sableuses. Jaabi, en particulier, du fait de sa jeunesse, est moins musclé et moins résistant que Mimoum.

Nous les retrouverons tout à l’heure, quand ils auront monté le camp.

Pour l’instant, nous prenons notre temps. Une nouvelle fois, j’ai laissé volontairement Brahim s’éloigner pour me retrouver seul.

J’éprouve une véritable joie sereine à me retrouver perdu dans cette immensité ocre et douce, sans aucun bruit sinon celui du vent.

La marche dans le sable, assez pénible en montée, est très amusante en descente : les pieds s’enfoncent jusqu’à mi-tibia et on glisse, comme sur un tapis.

Tapis volant, évidemment.

Je rejoins Brahim pour la montée vers la plus haute dune, celle que nous apercevions de loin ce matin quand nous en étions encore à plus de quinze kilomètres.

La pente est raide, sur un dénivelé d’une centaine de mètres où chaque pas s’enfonce et recule. Rude exercice.

Mais bientôt j’atteins le sommet : victoire!

Je contemple le paysage qui s’étend de ce côté jusqu’aux Hamadas, des plateaux désertiques et surélevés qui courent sur des centaines de kilomètres au sud, bien au-delà de la frontière avec l’Algérie, et au pied desquels il me semble distinguer un fort militaire.

Dans l’autre sens, je distingue également, au loin, au nord en direction du Drâa, plusieurs tentes semblables à la nôtre. Un campement plus important. Avec des 4X4 me semble t-il.

Brahim les a vus aussi et cette vision semble lui déplaire. Il n’est pas venu ici depuis la pandémie mais auparavant, me dit-il, il n’y avait personne là où nous sommes, sur l’Erg Zhar. Ou Zahar. Ou Zaher –  l’orthographe des noms propres varie d’une source à l’autre.

Avant, les groupes allaient plutôt rive droite du Drâa, sur l’Erg Chegaga. Ou Chigaga. Voire Chicaga. Bref.

Mon guide, qui semble apprécier la tranquillité autant que moi, me confie qu’il lui faudra trouver un autre secteur si celui-ci devient un peu trop fréquenté. Il me parle de Merzouga, où, il y a vingt-cinq ans, les excursions dans le désert se faisaient encore comme la nôtre. Aujourd’hui, les 4X4 y déposent les touristes directement dans des campements… climatisés!

J’ai déjà pu constater, hélas, en retournant à des endroits paradisiaques où j’avais séjourné auparavant, cette contamination calamiteuse du tourisme de masse.

Pour l’instant, en rejoignant le campement, on a tout de même l’impression d’être seuls au monde. Profitons-en.

Après le déjeuner, je pars flâner aux alentours. 

Je me régale de la sensation du sable sous mes pieds nus, dans mes mains, de sa finesse soyeuse.

Je profite du silence quand je me trouve dans un creux ou bien, au contraire, je passe un long moment à écouter le vent chanter dans les tiges d’alfa. 

Bref, je ne fais rien d’autre que de m’efforcer d’être présent à l’instant, en résonance avec cette espèce de sérénité joyeuse qui coule en moi comme le sable sous mes pas.

J’entends un bruit de moteur lorsque je regagne notre camp. Je vois également une fillette, au loin, qui cavale sur une crête de dune. Je fronce les sourcils. Qu’est-ce donc que ces gens?

Je grimpe sur la butte où se trouvent déjà Idir et Addi. De l’autre côté, un 4X4 est ensablé. Un couple se tient un peu à l’écart, avec un garçonnet. Des marocains. Sans doute la famille de la gamine. Leurs chauffeurs auront voulu les amuser en roulant à flanc de dune.

Avec Idir, qui comprend un peu le français, je me moque des conducteurs : en Tunisie, c’était déjà la même chose. Les gars faisaient les malins et finissaient toujours par se planter dans les zones molles. On rigole.

Plus généreux, Brahim est allé leur prêter main forte.

Sur la grande dune où nous étions tout à l’heure, une petite foule à présent se presse pour observer le coucher de soleil. Il s’agit sans doute du groupe de touristes conduits en voiture par la piste et qui campe sous les tentes plantées dans la plaine. Pas encore climatisées, celles-ci. Pour l’instant.

Ils sont loin, petites fourmis, mais leur présence à l’horizon, je l’avoue, me gâche un peu le plaisir. Heureusement, le soleil disparaît derrière les nuages – dommage pour  Instagram – et le groupe redescend donc avant de disparaître du tableau. 

C’est ce moment que choisit le soleil pour faire une percée sous la couche nuageuse, comme un pied de nez… 

… puis la nuit tombe et avec elle, débute la soirée que l’on connait déjà : potage – délicieux – tajine sous la tente, thé à la menthe, verveine pour digérer et feu de tamaris avec une théière sur les braises, en compagnie des chauffeurs sortis des sables et venus discuter avec mes compagnons de voyage.

Pour faire mousser le thé à la menthe, Idir a une technique fascinante : des passes et des repasses, dans les verres, dans la théière, et rebelote, avec ce geste ample et précis, poignet cassé, qui éloigne graduellement la théière du verre et pareillement avec le verre qu’on reverse à la théière. « Thé des nomades », me dit Brahim en ajoutant avec amusement que parfois, ça peut durer plus d’une heure.

Avec le feu en fond visuel et sonore, cette circulation du liquide ambré est hypnotique. J’étais déjà très détendu, mais cette relaxation supplémentaire avant d’aller se glisser sous le duvet est juste parfaite. Ne manqueraient plus que les étoiles pour planer complètement, mais le ciel est un peu bouché ce soir.

Erg Zhar - Sidi Naji

La pluie arrive dans la nuit – je l’entends tapoter sur la toile de tente et je mets mes bouchon d’oreille pour me rendormir – mais au petit matin, elle n’a pas cessé. 

On déjeune donc plus vite qu’à l’ordinaire afin de remballer le camp et de partir. L’argile, si agréable par temps sec, se transforme en effet avec la pluie en bourbier dangereux pour les dromadaires : ils peuvent glisser et, sous le poids de leur charge, se briser les pattes dans une espèce de grand écart pour lequel ils ne sont pas évidemment pas conçus. L’idée, c’est donc de gagner la zone des barkhanes le plus tôt possible.

Les chauffeurs du 4X4 ensablé hier sont venus nous voir de nouveau. Pas pour nous aider, c’est même le contraire : cette fois, c’est leur véhicule qui ne démarre pas. 

On se détourne pour leur filer un coup de main et je m’y colle aussi, après avoir pris la photo.

Le pick-up démarre. Nuage de gasoil, sourires, remerciements, salutations.

Quelques temps plus tard, nous sortons du cordon de dunes pour entrer sous la flotte dans une vaste plaine argileuse. 

Je regarde les dromadaires avec inquiétude : je n’ai pas envie qu’ils s’auto-écartèlent en dérapant. Mais tout va bien, ils avancent tranquillement.

Si jusqu’à présent, j’ai trouvé très agréable d’arpenter cette surface quand elle était sèche, j’en découvre aujourd’hui les inconvénients collants.

Les semelles sont engluées dans une épaisse gangue de glaise, impossible à décoller, qui rend la marche déséquilibrée et désagréable.

Pendant environ trois heures, on progresse ainsi, laborieusement, puis le vent se lève, la pluie s’arrête et on aborde alors une nouvelle étendue, mélange de zones sableuses et de regs caillouteux. 

J’en profite pour ôter la boue de mes semelles qui tient si bien que je suis obligé d’y aller à la lame d’Opinel.

J’avance le nez au sol. Le terrain est semé de pierres et de débris de poteries anciennes.

Je collecte un beau galet, brun strié de rouge, puis une caillasse de lave couleur de sable que l’érosion a sculptée et ridée. Je ramasse également quelques morceaux lardés de lignes verdâtres et je m’interroge sur la matière qu’ils contiennent : malachite? Chrysocolle? Je suis frustré de n’y connaître rien, ou si peu.

Mes yeux s’arrêtent sur deux petits éclats, verts eux aussi, mais dont la couleur vive tranche avec les autres morceaux plus communs. 

Ils sont assez denses et lourds, avec des espèces de billes qui bourgeonnent en surface. Ce sont clairement des cailloux, malgré l’aspect sulfaté et ferreux. Météorite?

Absolument, me dira Idir plus tard, en les examinant. Des petits échantillons assez communs de chondrite. J’ai eu de la chance d’en trouver, ajoute Brahim, il n’y en a pas tant que ça.

Idir n’est pas géologue mais il passe du temps dans le désert, entre deux accompagnements de touristes, à chercher des gemmes qu’il revend ensuite, avec l’espoir de décrocher le gros lot comme ces nomades en 2011, dans la province de Tata, qui sont tombés sur la météorite martienne de Tissint revendue une fortune à des scientifiques.

Pour moi, la valeur de ces fragments est essentiellement poétique. Rends-toi compte : j’ai en main les éclats d’un astéroïde extraterrestre probablement âgé de plusieurs milliards d’années! 

La Pluie d'étoiles filantes du 27 novembre 1872. Gravure tirée de Le Ciel : notions élémentaires d'astronomie physique / Amédée Guillemin, 1877.

Je reprends ma marche. De longs rais de soleil filtrés par les nuages strient le paysage et la plaine à contre-jour est immense, comme dilatée.

Idir, Addi et les dromadaires sont loin, de même que Brahim. 

Je traverse des zones de sable où percent quelques morceaux de tamaris desséchés, dont certains vieux troncs sont travaillés par l’érosion.

J’observe les différentes variétés morphologiques du sol, regrettant de ne pas être suffisamment calé en géologie pour en saisir toutes les subtilités. Je sais pour l’essentiel que le sable et l’argile proviennent de la désagrégation de roches détritiques, d’origine sédimentaire. Mais mes connaissances ne vont pas plus loin. Là encore, comme pour les pierres, c’est frustrant. J’ai l’impression d’être atteint d’une espèce de myopie épistémologique. 

Vers une heure, je rejoins Brahim au pied d’une butte. Nous pique-niquons. Les dromadaires et leurs chameliers, eux, ont poursuivi sans s’arrêter.

Le ciel est à présent dégagé, bien bleu au zénith même si certains nuages s’attardent à l’horizon. Il n’y a pas de vent de sable et le soleil chauffe agréablement.

Nous en profitons donc pour piquer un petit roupillon.

Après la sieste, nous reprenons notre route.

J’aperçois une construction lointaine. Une ferme? Un poste militaire?

Il s’agit en fait d’un marabout, celui qui donne son nom à notre étape du soir : sidi Naji.

Le marabout désigne aussi bien le tombeau d’un saint homme que le personnage lui-même : un sage, fin connaisseur du Coran, que l’on consulte sur toutes sortes de sujets.

Ce saint patron donne parfois son nom à un village, comme ici, à qui il offre protection et bénédiction.

Nous longeons l’édifice, qui a été retapé récemment. On distingue clairement deux époques de construction différentes :  les murs possiblement d’origine, avec les pierres alignées, et la partie moderne, avec les ornements de coin remontés en parpaings.

Entrons. La tombe est toute en longueur, étrangement. Elle me fait un peu penser à une version très sommaire de nos gisants chrétiens.

Voici de nouveau l’extérieur, d’un peu plus loin, avec la petite enceinte qui rappelle les fortifications du ksar en contrebas duquel ce tombeau est construit.

Ksar dont il ne subsiste qu’un chicot de rempart en pisé et des écroulements de sable et de pierraille.

J’essaie de me représenter ce village quand il était encore debout et en activité, avec probablement une palmeraie irriguée par les canaux en provenance du Drâa. Difficile de superposer les images qui me viennent avec ce que je vois.

Plus loin, nous rencontrons un rocher qui, lui, convoque puissamment l’imaginaire. 

Ces fossiles marins remontent à une période géologique très ancienne, le paléozoïque, entre trois cents et cinq cents millions d’années en arrière, de la période où l’océan disparu Téthys recouvrait l’actuel Sahara. Fascinant, non? Imagine l’aquarium.

« En plongée avec les nautiloïdes de l’ordovicien »… Ça ferait un bel article de la rubrique en scaphandre, non?

Allez : revenons sur terre. Une petite heure de marche et on retrouve les dunes, progressivement…

… puis on aperçoit la tente montée par Idir et Addi.

Les jambes tirent méchamment, ainsi que les pieds. Les heures de marche bancale avec la glaise d’argile sous la semelle ont laissé des traces.

Je suis content de m’asseoir un moment pour la collation – thé à la menthe, biscuits, fruits secs – avant d’aller monter ma guitoune sous l’oeil facétieux de Jaabi. 

… puis je vais faire un tour pieds nus dans les dunes environnantes, si belles dans la lumière de fin d’après-midi.

J’entends un bruit de moteur qui perce le silence et je vois deux Land Rover au loin, sur une piste. Elles quittent leur trajectoire sur la plaine pierreuse puis viennent vers nous par les dunes et s’arrêtent devant la tente. Leurs conducteurs papotent avec mes accompagnateurs. Ils sont vêtus comme Idir : djellabah sur le jean, blouson, long chèche bleu ciel.

Je regarde le soleil se coucher puis je descends à leur rencontre.

Ce sont des chauffeurs basés à Bounou, à la caravane Rose des Sables. Des collègues d’Idir, en somme, version mécanisée. Brahim me raconte qu’ils attendaient un groupe de touristes – celui aperçu hier sur la grande dune de l’Erg Zahar – mais que ces derniers ne se sont pas présentés au rendez-vous à Sidi Naji, au ksar en ruine. 

– Ils se sont perdus?

– Non, me dit Brahim. Ils ont voulu attendre demain pour l’étape, à cause de la pluie de ce matin.

Je m’esclaffe.

– A cause de la pluie? 

Brahim ouvre les deux mains, fataliste.

L’un des deux chauffeurs reste dîner avec nous, tandis que son collègue s’en retourne à la Rose des Sables dans la nuit.

Après le dîner, en sortant de la tente, je suis frappé par la clarté de la lune, dont le disque sombre est bordé par un fin croissant puissamment lumineux.

Je vais chercher mon trépied – que j’ai emporté pour ce genre d’occasion – et mon appareil photo pour tenter de saisir cette magnifique image en pose très lente.

La lune est escortée de deux étoiles très brillantes.

Voici ce que note le site Constellation et Galaxies pour cette nuit du 22 février 2023. « Le fin croissant de Lune (9%) est situé à égale distance (environ 4°) des très brillantes Vénus et Jupiter (plus haut), les trois astres formant un beau triangle régulier. Peut-être la plus belle conjonction de l’année. »

Je suis d’accord. C’est sublime. 

Le ciel nocturne est enfin totalement dégagé, pour la première fois depuis qu’on est partis. On voit parfaitement la voie lactée. Je me déplace au fil de la dune avec mon pied et mon appareil, pour tenter de capter un peu de toute cette magie.

Mais je suis très déçu par mes photos. Il faudra que je me renseigne sur la technique qu’utilisent ceux ou celles qui produisent ce genre de cliché, même s’il s’agit vraisemblablement d’un montage. 

Je range l’appareil dans son sachet congélation – il y est enfermé depuis le début à cause des vents de poussière ; j’ai pris toutes les photos ou presque avec mon Iphone dans sa coque étanche – je replie le tripode, puis je m’allonge sur le sable et je profite de la vue extraordinaire sur les constellations. Avec les yeux.

Sidi Naji - Ksar Bounou

Pas de pluie ce matin. Une aube magnifique. Ciel dégagé, sans vent. La dernière journée s’annonce belle.

Petit déjeuner à flanc de dune, pour fêter ça.

Reprise de la marche, après le démontage du camp. Mes pieds ont gonflé et j’ai dû ôter mes semelles intérieures, pour gagner de la place. 

Le ciel pommelé, à contre-jour, est photogénique à souhait.

Nous quittons la zone de sable pour entrer dans une immense plaine sableuse et caillouteuse.

La marche le long de cette interminable ligne droite est propice à la méditation.

Je vais un peu moins vite que les jours précédents – je sens que de nouvelles ampoules ont fait leur apparition sur mes pieds – et cela me vaut de me retrouver seul, comme j’aime. Je ne risque pas de me perdre, les traces des autres sont simples à suivre.

Nous passons au large d’un fort militaire, situé près d’un cordon de dunes, au nord, ce qui explique ces traces de roues. 

Je pense aux Dupont-Dupond, dans Tintin au pays de l’or noir, qui tournent en rond dans le désert en suivant leurs propres traces.

© Hergé – Moulinsart

Et par ricochet associatif, je me dis que décidément, pour le désert comme pour le reste, la lecture précoce des albums d’Hergé m’aura influencé en profondeur.

J’aperçois un acacia au loin, unique point de repère dans ce paysage dilaté. 

Inexorablement, mes pas s’en approchent et je mets environ trois quarts d’heure pour l’atteindre.

Idir, Addi, Brahim et les dromadaires ont fait une halte en profitant de son ombre. Brahim me montre l’arbre :

– Parasol des nomades, me dit-il en riant.

Le temps de manger une orange et de reposer mes jambes et mes pieds, douloureux, et puis on repart.

Et comme je voyais l’acacia grandir à mesure de son approche, il s’éloigne désormais, silhouette tout aussi lointaine que tout à l’heure cependant que le décor, lui, reste inchangé.

Vers midi, on approche d’un nouveau cordon de sable. Un groupe de touristes, à la queue-leu-leu, longe les dunes.

Ils font des sorties à la journée, organisées depuis M’Hamid.

De loin, à cause de leur taille et de leurs vêtements colorés, ils me font penser à ces petites figurines de la marque Preiser, qui servent à peupler les décors de train électrique ou les maquettes d’architecture. Amusant.

A l’approche du sable, le végétation se fait de nouveau plus présente : buissons de zygophyllum, ainsi que cette plante en étoile que je n’avais pas encore vue, qui ressemble vaguement à une sorte de plantain, et que je ne parviens pas à identifier, même avec mon application pl@ntNet.

Du fait de la pluie m’explique Brahim, d’ici un à deux jours, cette plaine de gravier va se couvrir de petites plantes éphémères qui vont lui donner l’aspect très momentané d’une prairie. Je ne serai pas là pour le voir, hélas, mais j’imagine assez bien la chose. Ça doit ressembler grosso-modo à l’image suivante, trouvée en ligne et prise sur l’Erg Chegaga.

Une heure plus tard, on franchit la zone de sables, en direction de la palmeraie traversée le premier jour.

Dernier pique-nique à l’ombre des palmiers.

Je suis content de m’allonger, mes jambe et mes pieds décidément me font souffrir aujourd’hui.

Après le déjeuner, qui consiste à finir les réserves, Brahim et moi coupons à travers le Drâa, dont les eaux ne s’écoulent plus et forment des mares stagnantes.

Dans le lit, entre les blocs agglomérés de galets, le sable a l’aspect travaillé d’une omelette norvégienne. On en mangerait.

Au loin, se dessinent les contreforts d’un village fortifié, le Ksar de Bounou, en grande partie abandonné. Je le montre à Brahim :

– On y va?

Il s’inquiète de mon pas boiteux et précise que ça nous rallonge d’une heure.

– Pas grave, ça a l’air super!

Je pense à l’époque, déjà lointaine où ce village était bordé par les eaux du Drâa, avant que le barrage Al Mansour Ad-Dahbi ne provoque l’assèchement du fleuve et que le désert ne fasse le reste. Aujourd’hui, le ksar est abandonné par la plupart de ses habitants et le processus d’effondrement a commencé.

Les rues sont envahies de sable, les greniers sont vides.

Apparemment, il existe des velléités de sauvegarde de ce village magnifique. J’ignore cependant de quels moyens disposent les associations locales. Insuffisants, probablement.

On reprend la route perpendiculaire à la nationale 9, le long de la palmeraie. Les ampoules rendent la marche un tantinet désagréable et j’immortalise ce dernier kilomètre par un selfie grimaçant. 

L’endroit est riche d’hébergements touristiques…

Et puis, enfin, on arrive. Je vide mon sac dans ma case et surtout, je file à la douche! Bonheur du désensablage et du shampoing : mes cheveux avaient fini par prendre la consistance de la filasse de plomberie.

Je flâne dans le camp, prends le temps d’envoyer des nouvelles rassurantes avec mon téléphone rechargé, puis je savoure un thé, assis à la table d’une terrasse couverte. Il fait bon, je profite, c’est très agréable. 

Une quinzaine de touristes français terminent également leur séjour. Certains me jettent un regard en coin, en se demandant probablement ce que je fous là, tout seul. J’ai l’habitude. Ici comme ailleurs, l’individu isolé, et qui s’assume comme tel, est une curiosité vaguement inquiétante. Suspecte.

Après le repas, j’enregistre les chauffeurs et les chameliers qui donnent un concert improvisé autour du feu. 

Puis le lendemain, à 5h30, après un dernier petit-déjeuner, je fais mes adieux à Idir – j’ai dit au revoir à Addi hier soir – puis Brahim et moi allons attendre notre bus de retour dans la nuit, à l’intersection. 

Et nous nous voici rendus à la fin de ce trip saharien.

Le séjour dans la vieille ville de Marrakech, au retour, était super – bien mieux que l’aperçu que j’en avais eu à l’aller, en attendant la réouverture de la route – mais le tourisme classique est hors-sujet dans les Fantaisies buissonnières, et je m’arrête donc là. Ou presque.

Il me reste en effet à te proposer un petit montage vidéo du voyage retour – 11 heures de bus réduites à 4 minutes, et dont les chameliers de Bounou m’ont fourni la bande son.

Si cet article t’a plu, n’hésite pas à me laisser un commentaire, c’est toujours sympa d’avoir un retour, quel qu’il soit!

Le désert marocain en pratique

Choisir un itinéraire et trouver un guide

J’ai d’abord consulté les sites de deux voyagistes spécialisés dans les treks, Terre d’Aventure et Allibert Trekking, pour me faire une idée, via leurs descriptifs, des endroits où je pouvais me rendre. Ces deux opérateurs sont très fiables, tant dans leurs démarches responsables que dans les treks qu’ils organisent, mais ce qu’ils proposent n’est pas pour moi : je tiens trop à ma liberté et à mon autonomie, et je fuis les groupes, même restreints.

J’ai également acheté un guide papier, pour me donner des idées : treks au Maroc, de  Vincent Geus, chez Glénat. Très bien fait, mais très axé Atlas. Côté désert, l’auteur conseille notamment des contacts directs à Oulad Driss pour un trek rive droite du Drâa, en direction de l’Erg Chegaga, plus fréquenté que l’erg Zahar, notamment par les groupes organisés. Il semble toutefois que l’erg Zahar soit à son tour, récemment, peu à peu contaminé par les groupes – cf. notre chapitre 6. 

Puis j’ai cherché en ligne un guide marocain agréé. Il en existe pléthore.

Je te recommande évidemment les services de Brahim El Boumaly, dont le site Maroc Tour Guide donne les coordonnées utiles.

J’ai parcouru attentivement le site de Brahim puis j’ai cherché des avis : facebook, trip advisor… Tous étaient positifs, ce qui m’a conforté dans mon choix. Et puis, comme je le dis plus avant dans le récit, Brahim est surtout le seul à m’avoir répondu (j’avais d’abord contacté deux autres guides, mieux situés dans le référencement Google mais qui ne m’ont jamais répondu, même pas pour décliner ma demande).

Avec Brahim, on s’est calé par Whatsapp : dates, itinéraire, tarif. Je me suis occupé moi-même de mes vols et de mes hôtels à Marrakech, Brahim, lui, a pris en charge le trajet bus et le séjour dans le désert. C’est un guide adorable, intelligent et sérieux. Pas la peine d’aller chercher ailleurs.

Avion

De nombreuses compagnies régulières ou low-coast desservent le Maroc mais attention : les tarifs explosent sur les vacances scolaires. Il vaut donc mieux s’y prendre à l’avance pour avoir des tarifs raisonnables. Ou décaler quand c’est possible.

Il peut-être intéressant d’atterrir à l’aéroport de Ouarzazate. Liaisons régulières depuis Orly avec Transavia, notamment. 

Je te livre une astuce pour réserver tes billets en ligne : toutes les compagnies et les moteurs de recherche fonctionnent avec des cookies et des traceurs qui mémorisent tes recherches et les parasitent ensuite. Personnellement, quand je recherche des billets d’avions, j’ouvre une fenêtre privée sur mon navigateur et je passe par le moteur Qwant. De la sorte, mes requêtes ne sont pas pistées et je bénéficie de tarifs qui ne sont pas pollués par les algorithmes, voire ajustés à la hausse. 

Meilleures périodes

J’avais choisi février parce que ça collait à mes congés et que ce mois faisait partie des périodes conseillées. Selon Brahim toutefois, novembre est LE mois idéal : ciel bleu, nuits étoilées, que du bonheur.

Quelques conseils matériels

Globalement les mêmes que ceux prodigués par Brahim sur son site. Je t’en conseille donc d’abord la lecture. 

Chaussures :  à tiges basses type trail, minimum 1 pointure au-dessus. Pour éviter que le sable n’y entre trop – il finit toujours par entrer – les guêtres Salomon sont bien, mais le mieux dans le sable, de jour uniquement, reste encore de marcher pieds nus. Les guêtres sont donc superflues.

Dans une optique MUL, pas la peine d’emporter des tas de vêtements de rechange : on ne transpire pas et si on ne se lave pas, on ne pue pas non plus du fait de la sécheresse de l’air. J’avais en tout : deux tee-shirts et deux caleçons D4 ultra légers (un par demi parcours), un sweat merinos, un pantalon Salomon, un coupe-vent, un sweat chaud Cimalp, un chèche coton de 2 mètres. Si c’était à refaire, j’enlèverai le caleçon et le tee-shirt en double.

Les lingettes bébé sont utiles. Pratiques pour la toilette de chat.

Le briquet est indispensable pour faire brûler le papier toilette que l’aridité désertique ne dégrade pas. Pratique aussi pour allumer le feu de tamaris le soir, accessoirement.

Enfin, côté couchage, les gros matelas épais sont fournis mais c’est tout. Prendre un sac de couchage qui garantit une température de confort à 5 degrés est à mon avis bien suffisant. Je n’ai jamais eu moins de dix degrés sous la tente, peut-être à peine dix au point de rosée, mais pas moins, j’ai donc toujours utilisé mon sac hyper chaud – Spark 3 sea to summit – en couette. Pour le couchage au bivouac, tu trouveras plus de détails par ici

Les bâtons ne sont pas du luxe : j’avais hésité à les emporter et je n’ai pas regretté de les avoir pris. 

Dans mon vieux sac à dos – que j’emballe en voyage dans une housse très pratique qui le transforme en sac à bandoulière – j’avais également quelques affaires réservées au tourisme à Marrakech – une autre paire de chaussures, un chino, deux chemises, un gilet, des sous-vêtements ainsi que mes articles de toilette.

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4 réponses sur “En nomade dans le désert marocain38 mn de lecture

  1. Quel voyage je viens de faire grâce à ton récit illustré si vivant, Patrick!
    Par procuration, je suis allée là où je n’oserai jamais aller, je n’en aurais jamais eu le courage ! Que d’incroyables paysages!
    Donc un immense merci pour les images, le texte et même…les sons!
    J’en suis presque, comme dans un feuilleton ou une série, à attendre « l’épisode » suivant !!…???

    1. Merci Hélène de ton retour « transporté »! Je suis heureux de constater que mon récit a atteint son but et t’a permis d’emboîter mes pas, sans boiter. Le prochain épisode est proche, mais il sera beaucoup plus aquatique. Comme pour compenser, peut-être!

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