Fontainebleau aux quatre saisons19 mn de lecture

Je connais bien la forêt de Fontainebleau : j’habite à sa lisière et je l’arpente depuis un moment. Il était donc temps que je te la présente, à ma façon.

Sommaire

La forêt de Fontainebleau et moi

C’est une vieille histoire sentimentale. Pas une histoire d’amour – ou alors platonique. Encore que cette photo prise dans les « gorges » d’Apremont se révèle finalement très érotique. Mais par anthropomorphisme, uniquement, hein? Je n’en suis pas encore à loucher sur les souches – merci bien.

Heu… Où en étais-je?

Comme beaucoup de gens – vraiment beaucoup, des millions – j’ai passé la plupart des dimanches de mon enfance en forêt de Fontainebleau, avec mes parents, à marcher toute la journée quelle que soit la météo. Et même sous la pluie, même avec les gerçures hivernales sur les cuisses irritées par la toile du pantalon, même avec la soif l’été la gourde vide, ça n’a jamais été une corvée. Je suis sincère. Je ne recompose pas après coup une expérience initialement négative. La forêt, sa magie unique, compensait tous les maux. Ou les valait bien, ce qui revient au même. 

Il y a quelques années, après bien des détours et des déménagements, j’ai posé mes bagages au plus près. La forêt de Fontainebleau aligne désormais ses frondaisons dans la perspective du trottoir que j’arpente tous les matins sur une centaine de mètres, la distance qui sépare mon domicile de mon travail, et cette proximité vaut pour moi les meilleurs spots du monde. 

Une vague histoire de racines, finalement, comme celles, innombrables, qui courent sur les pentes des chaos gréseux.

J’ai repris ici trois anciens articles tirés de mes promenades aux quatre saisons, conçues comme autant d’introductions très personnelles à ce massif absolument unique. Il ne manquait que l’été, ajouté depuis pour compléter le tableau d’ensemble.

En passant par le sommaire hypertexte, tu pourras accéder en fin d’article à une petite sélection de livres et de sites riches en informations variées.

Bienvenue à la maison.

Automne

La forêt de Fontainebleau est magnifique à toutes les saisons. Mais à l’automne, sous les frondaisons des futaies de feuillus notamment, elle est absolument sublime.

Je t’emmène faire un tour sur le sentier bleu numéro 8 – un de mes préférés.

Ces marques de peinture outremer font partie de la forêt depuis le XIXème siècle. Mieux : elles l’incarnent. Pour leur histoire, je te conseille de visiter le site d’Olivier Blaise, photojournaliste qui te guide ici sur l’itinéraire que nous arpentons partiellement aujourd’hui.

Nous reparlerons de la genèse des sentiers bleus un peu plus tard. Au printemps. Pour l’heure, en route.

En regardant le soleil jouer à travers les fougères roussies…

Je songe, va t’en savoir pourquoi, à la chevelure de Maureen O’Hara.

Les promenades en forêt de Fontainebleau me font toujours cet effet ricochet. Tiens, par exemple, ici, devant cet amusant passage entre les blocs de grès…

Je pense invariablement à cette célèbre photographie d’Hiroji Kubota.

Comme je te le disais en introduction, la forêt de Fontainebleau, je la parcours depuis un moment. La preuve.

C’est moi. Automne 1967. Personnellement, j’ai un peu de mal à me reconnaître. Mais, fort cependant de photos semblables, j’ai pu dire dans un moment d’égarement que j’avais été élevé en forêt de Fontainebleau. C’est malin : depuis, certains amis m’appellent Mowgli…

Ce que j’aime à Bleau, entre mille choses toutes plus fascinantes les unes que les autres, c’est la sensation de relief qu’on y trouve : des creux et des bosses dans un pays de plaine.

Et tout ça parce qu’il y a 35 millions d’années, une mer peu profonde recouvrait encore le bassin parisien. Puis elle s’est évaporée. Pfuit. Les dépôts sédimentaires se sont alors agglomérés et le grès s’est formé, solidifié en plaques de roche imperméable qu’on appelle des platières.

L’érosion, patiemment, a ensuite travaillé ces socles, lesquels se sont ébréchés puis effondrés en chaos de blocs qui peuplent les pentes.

Blocs sur lesquels on vient du monde entier batailler contre la pesanteur, dans des contorsions improbables.

copyright François Kivik

En bas du chaos, étape finale de cette longue usure, on trouve des sortes de vallées où s’épanouissent les feuillus. Chênes et hêtres, majoritairement, lesquels posent en robe d’automne – c’est la saison des podiums.

Le tout, partout, fiché dans un merveilleux sable gris clair d’une belle finesse poudreuse.

On redescendra tout à l’heure. Pour le moment, le sentier me promène sur la crête. Vue imprenable sur les lointains.

De ce point de vue, j’aime à imaginer la mer antédiluvienne qui a donné naissance à ce paysage. D’ailleurs, l’été, quand le soleil chauffe la résine odoriférante des pins, il me suffit de fermer les yeux pour me croire revenu sur ses bords. A tout le moins, sur quelque littoral méditerranéen, dans les fragrances de térébenthine. J’adore.

En quittant ce petit plateau, le sentier serpente un temps sur la crête.

Puis redescend. Puis remonte. On y croise des aliens aussi drôles qu’inoffensifs. 

A un endroit, le chemin dessine une boucle que j’aime bien abandonner pour couper tout droit, hors piste.

Je suis certain de n’y rencontrer personne – et ça tombe bien, puisque c’est précisément ce que je recherche.

Ce raccourci m’amène vers une autre butte, un endroit que j’affectionne particulièrement. Il y a là une banquette exposée au sud, parfaite pour le goûter contemplatif.

Banquette propice à la méditation romantique – la vraie, laquelle n’a rien à voir avec son mièvre avatar en chemise à jabots.

Ici, la permanence de la nature renforce le sentiment fugace de l’existence humaine. Ô temps, etc.

Ainsi cette banquette de grès sur laquelle je me suis posé à tous les âges de ma vie en a t-elle vu défiler bien d’autres avant moi. Mes parents sans doute s’y sont assis quand je n’étais encore qu’un possible éparpillé dans les limbes. J’y ai photographié mes filles grandissant au fil des années et elle sera encore là bien après que j’aurai inévitablement disparu.

A l’échelle de toutes ces vies, la roche s’est à peine polie.

Pour moi toutefois, ce n’est pas une pensée morbide ou mélancolique, c’est juste un fait : les temps géologiques nous remettent toujours à notre juste place.

Allez, redescendons. A tous les sens du terme. Et empruntons la très jolie Route du Sommet.

Ce sentier longe la faille du Long Boyau : une veine de grès exploitée jusqu’au milieu du XIXème siècle par les carriers – tailleurs de pierre dont les pavés allaient autrefois recouvrir les rues alentours, jusqu’à Paris. 

Les conditions de vie de ces ouvriers étaient effroyables. En cliquant sur l’image, tu pourras accéder à un article très complet à leur sujet.

Les artistes romantiques de la génération de 1830 qui fréquentaient régulièrement la forêt, dans le sillage des peintres de l’école de Barbizon, ont été à l’origine de la création d’une « réserve artistique », laquelle a inspiré plus tard le cadre législatif du premier parc naturel du monde, celui de Yellowstone, et cette réserve artistique a sonné le glas des carrières, définitivement abandonnées en 1907.

Par endroits, des reliquats de pavés abandonnés forment encore des tumulus recouverts de mousse, témoins de ce passé.

Aujourd’hui, il reste une unique carrière en exploitation, celle de Moigny sur Ecole.

Je profite de la contemplation de ces vestiges pour songer qu’en matière de protection, la forêt de Fontainebleau est un espace passionnel de longue date. Entre les tenants d’un enclavement radical excluant toute présence humaine – une aberration, ici comme ailleurs – et les dérives consuméristes de spéculateurs indifférents au milieu qu’ils exploitent, je continue de penser que l’éducation à la responsabilité doit primer. A cet égard, sur le thème élargi de l’éco-citoyenneté, je rejoins la sagesse pragmatique d’un autre amoureux de la forêt, Greg Clouzeau, rédacteur en chef du site La Tribune Libre de Bleau, dont le site présente par ailleurs un point très complet sur ce sujet de la protection de la forêt.

Actuellement, l’équipe municipale de la ville de  Fontainebleau porte le projet du classement de la forêt au patrimoine mondial de l’humanité, dans le cadre d’une extension du classement du Château de Fontainebleau datant de 1981. Extension totalement logique, puisque cette partie sylvestre non défrichée de l’antique forêt de Bière doit en grande partie sa survie, et son agencement, au fait qu’elle était la réserve de chasse des résidents royaux du Château. Et oui. 

Bien. Reprenons la promenade.

D’ordinaire, je poursuis la route du sommet jusqu’au bout, puis, butant contre la Route Ronde,  je passe ensuite sur une autre crête, parallèle, qui me ramène à mon point de départ par les Gorges du Houx.

Aujourd’hui, parce que c’est l’automne et que j’ai soif de futaies jaunies, je décide de couper en débaroulant par la pente pour revenir en empruntant la route des Gorges de Franchard.

Bien m’en prend, c’est pittoresque à souhait.

Les odeurs résineuses et minérales de la platière laissent la place à des fragrances plus douceâtres : humus, mousses, moisissures. Les feuilles d’or des chênes tranchent sur le fond vert des pins.

Le soleil, par notes lumineuses, musicales et cristallines, fait chanter les genêts. Synesthésies. 

A la maison forestière de la Faisanderie, les tables de pique-nique sont à l’unisson de la saison.

Dans quelques jours, deux semaines au plus, les feuilles auront fini de recouvrir le sol. Elles formeront alors un tapis rouille et brun que la chute des températures viendra bientôt givrer.

Puis les branches des feuillus seront nues et se dresseront graciles et noires dans cette belle lumière rasante typique du solstice.

Et nous serons alors en…

Hiver

La neige est tombée une partie de la nuit. Froid sec, neige et beau soleil dans le ciel bleu : mettons donc dans le sac un petit thermos de chocolat chaud, l’appareil photo, et hop, à nous les sentiers blancs.

Dès l’entrée par le parking du Cabaret Masson, au départ du sentier qui mène au Rocher Saint Germain, le ton est donné.

Il fait moins six et le froid vif a fixé la neige sur les branches. Je circule dans la forêt givrée.

J’emprunte le sentier bleu N°4. Si tu souhaites plus de détails sur cet itinéraire, je te renvoie au précieux site d’Olivier Blaise.

Les teintes gris-vert des blocs de grès et des pins sylvestres s’harmonisent entre elles, soulignées par la blancheur de la neige et le bleu du ciel. 

La couche blanche n’est pas très épaisse mais elle suffit à craquer sous mes pas, produisant ce son caractéristique, feutré et cotonneux, que fait la neige quand on y marche. Hormis ce léger bruit, le silence. Tout est figé. 

Ces dernières années, les chutes de neige ont été relativement conséquentes. Plus qu’aujourd’hui, à dire vrai – mais aujourd’hui, ce qui fait la différence, c’est le froid sec et le soleil. D’ordinaire, c’est plus gris. J’en profite d’ailleurs en général pour m’amuser en noir et blanc.

Quelle que soit la saison, parcourir les paysages de la forêt de Fontainebleau me chahute toujours un peu les pensées. J’aime y laisser mon cerveau en roue libre, balloté par les associations spontanées qui m’éparpillent entre présent et passé.

Je peux ainsi m’y retrouver à l’âge de dix ou douze ans, jouant les explorateurs de forêt boréale…

… ou bien, grâce aux couleurs du paysage…

… me retrouver à Quimper, devant ce tableau hollandais que j’aime beaucoup, au point de lui rendre régulièrement visite quand je vais dans le Finistère.

Joos de Momper II (1564-1635), Paysage d’'hiver © Musée des beaux-arts de Quimper

Ces brindilles de bouleau…

… me font évidemment penser à leurs cousines des Alpes.

Les pins enneigés…

 … me font partir en rêve sur la Kungsleden suédoise – l’un de mes projets pour une balade hivernale à venir.

Ce va et vient des pensées, libres, traversantes, fait partie du plaisir que j’éprouve depuis toujours à parcourir inlassablement la nature. Je ne sais jamais à l’avance ce qui va surgir sur mon petit écran mental.

Cela étant, je parviens aussi parfois à débrancher mes pensées. En passant par exemple de longues minutes à observer le lent dégivrage des branches dans le jeu des rayons du soleil, sans songer pour une fois à rien d’autre que ce que je vois.  

Méditation de pleine conscience, disent les spécialistes. 

Après une pause chocolatée et fumante sur les hauteurs de l’hippodrome, le cul glacé malgré le sac à dos en coussin…

Je poursuis mon chemin pour aller saluer l’un de mes vieux chênes préférés.

Puis, de là, plutôt que de poursuivre vers le parking de Belle-Croix, je redescends hors sentier vers la Vallée de la Solle.

On dirait qu’une équipe de pompiers fous a vidé des hectolitres de neige carbonique sur les pins. Non?

Mais la forêt de Fontainebleau en hiver, ce n’est pas que la neige, qui reste somme toute assez ponctuelle.

C’est d’abord la transformation du paysage : les fougères roussissent et se recroquevillent, libérant la vue qu’elles masquaient au printemps.

En hiver, les teintes dominantes de la forêt sont le brun et l’ocre des feuilles mortes et des aiguilles tombées des pins, le beige orangé des fougères ratatinées, le gris-vert des rochers, le vert bouteille des pins sylvestres et des pins Laricio, ou d’autres conifères encore, qui gardent pour partie leurs aiguilles, le gris clair des troncs et le vert soutenu des mousses, dans les secteurs qui parviennent à rester humides.

Ailleurs, dépouillée de sa verdure printanière et estivale, on peut se rendre compte de la sécheresse qui règne dans cette forêt sans source. On y sent toute l’influence acide des sols sablonneux.

Et puis il y a la lumière : cette sublime lumière flamande, aussi chaude dans ses tons que la température atmosphérique est basse – un des principes de la colorimétrie, soit dit en passant.

Les mares se glacent parfois, ou à tout le moins se figent.

Et puis, pour une raison que j’ignore – peut-être du fait des fougères ratatinées – c’est l’hiver que je vois le plus de choses amusantes : des yacks-mousse… 

… des bébés phoques de grès…

… le sourire complice des rochers.

Bref, j’aime beaucoup l’hiver en forêt de Fontainebleau.

Mais l’hiver, n’est-ce pas, ça va bien quatre mois par an. Davantage, on finirait par se lasser. 

J’adore par conséquent les jours qui rallongent en mars. Je guette l’apparition des premiers bourgeons et la renaissance des fougères, bref, j’attends comme tout le monde l’arrivée du…

Printemps

Jusqu’en mars, même si la météo est agréable et que le soleil parfois chauffe, la forêt reste figée dans ses couleurs d’hiver. On a pu voir plus avant que c’est chouette, particulièrement quand le le ciel est au bleu, mais quand arrive avril, tout change. Spectaculairement.

Alimenté par les averses de l’équinoxe, le vert éclate, omniprésent. Du vert. Du vert. Partout. 

On va voir?

Nouvelle saison, nouveau chemin : aujourd’hui, je t’emmène suivre une partie du tout premier sentier tracé par Claude-François Denecourt, dit le Sylvain, grognard napoléonien reconverti en promeneur romantique, à qui on doit une partie des fameux sentiers « bleus » qui se tortillent à travers le massif.

L’œuvre de Denecourt sera poursuivie à sa mort par un autre « sylvain » – silva, en latin, c’est la forêt – Charles Colinet.

Le sentier numéro 1, dit aussi « sentier du Mont Ussy » a ceci de commode qu’il débute à cinq minutes à pieds de chez moi. Pour davantage de détails sur cet itinéraire, comme dans les précédents articles, je te renvoie au site extrêmement bien documenté d’Olivier Blaise.

Il existe aussi des guides « papiers » des sentiers bleus : le mien commence à dater…

… mais on peut se procurer facilement sa version actualisée

Bref. Marchons tout droit en direction du carrefour de la maison forestière des huit routes.

L’ambiance est printanière, toute en vert tendre. On en mâcherait.

Le secteur est envahi de sangliers. Aujourd’hui, je ne les entends pas, pas plus que je ne les vois, mais il n’est pas rare qu’on les retrouve sur la petite route de Notre Dame de Bon Secours, ou même la route Louise qui borde l’un des côtés du cimetière.

Depuis le parking forestier du Mont Ussy, retrouvons le sentier 1 peint sur les grès.

Le chemin serpente en montée à travers le chaos. 

On débouche après quelques temps sur des empilements de roches, strates de grès typiques de Bleau, qui prennent ici la teinte de toute la verdure qui les environne.

J’aime beaucoup cet aspect « en piles d’assiettes » de la veine de grès qui court tout le long de la crête. Et son coté ruiniforme également.

Le chemin s’amuse – comme Denecourt en son temps. Tunnels…

Surplombs qui invitent à la grimpe – à la « varappe », disait-on autrefois.

Fontainebleau est intimement lié à l’histoire de l’escalade et de l’alpinisme.

Dans les années 40, Pierre Allain y invente les chaussons de gomme qu’on utilise encore aujourd’hui.

Non content d’être un précurseur génial en matière d’amélioration du matériel au service des performances, Pierre Allain trace en forêt – au Bas-Cuvier – les premiers circuits colorés, ces laboratoires du geste au ras du sol sableux qui permettront ensuite bien des avancées montagnardes.

Aujourd’hui, l’enchaînement des circuits est un peu tombé en désuétude. Les grimpeurs contemporains isolent des « blocs » très durs qu’ils travaillent sur site, ou bien qu’ils répètent sur des structures artificielles quand la météo interdit les sorties.

La performance reste ardue, quel que soit le niveau. Hautement gymnique. Je le sais : comme tout le monde ou presque dans le secteur, je m’y suis colleté un moment.

Au sommet, sur la platière, le sentier de crête continue de sinuer entre les roches et les frondaisons des fougères ou les feuillages tout neufs des hêtres.

Puis le chemin redescend.

Et partout, cette effervescence verte.

J’en profite pour observer de très près la renaissance des fougères aigle – pteridium aquilinum pour les amateurs d’herbier.

Ces fougères aussi discrètes qu’omniprésentes, qui se fondent dans le paysage jusqu’à se faire oublier, constituent l’un des groupes de végétaux endémiques les plus remarquables de la forêt – avec la callune dont je te reparlerai en été.

Pour l’heure, saluons cette jeunette, à peine née et déjà si bien coiffée.

Sur quoi, je redescends à travers les blocs et le relief pour retrouver la vallée où, hormis le brun des sentiers et des feuilles mortes de l’automne précédent, tout est vert tendre, à perte de vue. Du sol au plafond.

Tout cette énergie végétale, envahissante, me fait songer à cette adaptation de la Couleur tombée du ciel, de Lovecraft, transposée dans le très « pop-culture » Creepshow, film à sketch des années 80 où Stephen King lui-même incarnait un fermier abruti peu à peu colonisé par une mousse verte venue d’outre espace. Impayable.

Fin de la promenade : je regagne la Vallée de la Chambre, puis les petits chemins qui mènent à l’arrière du cimetière et au-delà, à la maison.

Il y aura bien sûr d’autres promenades printanières, mais ce vert intense ne durera pas : tout comme à l’automne pour les feuillages en feu, la période se concentre sur deux semaines, au plus. Ensuite, les couleurs foncent et les arbres s’installent pour la venue de la saison suivante. 

Eté

En juin, ou fin août – entre les deux, je suis souvent ailleurs – j’aime aérer mon appareil photo argentique sur les traces des grands pionniers. En admirateur inconditionnel de Gustave le Gray.

Chêne rogneux près du carrefour de l'Épine, Gustave Le Gray 1852 © BNF Département des Estampes et de la photographie.

En parlant des pionniers, j’ai trouvé récemment dans ma librairie préférée une petite monographie des années 90, qui part sur les traces des photographes – empruntant les pas des peintres – de Barbizon. 

Petite parenthèse au sujet des peintres de l’école de Barbizon : de tous les génies qui ont fréquenté l’auberge Ganne, mon absolu préféré reste Narcisse Diaz de la Pena : les effets de matière de ses toiles sont incroyablement physiques et son rapport à la lumière est juste extraordinaire. 

Revenons aux photographes. 

Je trouve amusant d’aller marcher sur leurs traces – Cuvelier, Famin, Quinet, Berthier, Harrison, j’en oublie, mais tu peux te rapporter à cette page du site d’Olivier Blaise pour en savoir plus et pour constater au passage l’évolution des sites.

Voici par exemple la Mare à Dagneau, photographiée en 1870, par Harrison.

C’est en hiver. On reconnait les plaques d’eau gelée au premier plan et la végétation nue, avec ce chêne sublime au second plan et les buissons qui en masquent en partie un deuxième, assez semblable, comme un écho du premier. On retrouve dans la composition toute l’influence de la peinture de paysage depuis le XVIIème siècle.

Aujourd’hui, c’est beaucoup plus touffu et hormis le rocher, qui n’a pas bougé et dont la tranche est plus saillante du fait du niveau de l’eau très bas, c’est difficile de reconnaître les lieux. Difficile également de produire un cliché satisfaisant. Lumières trop hautes, difficulté à trouver une composition qui me plaise, bref : je rame.

Sur le cliché de 1870, le personnage est assis sous la flèche de gauche, et le photographe s’est vraisemblablement positionné hors-champs, dans la direction indiquée par la flèche de droite.

J’essaie donc de changer de point de vue et de remonter mentalement le temps pour imaginer, il y a 150 ans, le photographe encombré de sa chambre sur pied, de ses plaques et de ses produits chimiques.

Mais impossible d’opter pour le même point de vue, du fait de la végétation d’aujourd’hui. Tant pis. Je reviendrai en hiver.

Les différentes mares d’eaux stagnantes qu’on trouve en forêt de Fontainebleau sont fascinantes aux quatre saisons. Je te renvoie à cet article très complet signé Greg Clouzeau pour en savoir plus.

Cet été 2022 a été particulièrement chaud et sec. Il n’y a donc que dans les plus grandes poches qu’on trouve encore un fond d’eau. Non loin de la discrète Mare à Dagneaux, la Mare à Piat n’est pas complètement à sec. Son niveau est très bas, mais elle est toujours aussi belle avec ses nénuphars.

J’y finis d’ailleurs ma pellicule noir et blanc, que je traînais depuis le printemps.

Là-dessus, je repasse au numérique, en couleur. C’est toujours aussi beau, quoique différent. C’est amusant, le contraste gris du rocher dans les nénuphars, ça lui donne un air incongru. Un index d’hippopotame.

Aujourd’hui, pour notre promenade estivale de la toute fin août, j’ai choisi de me garer au parking de Belle-Croix, sur la Route Ronde, puis d’aller musarder sur le sentier n° 5 qui parcourt les hauteurs du Cuvier-Rempart, au-dessus des rochers du Cuvier-Châtillon qui ont vu naître les premiers circuits d’escalade.

Comme d’habitude, le site d’Olivier Blaise te donne toutes les informations sur cet itinéraire.

Je connais bien ce chemin – la route de Luxembourg – qui débute ici par une voie pavée probablement destinée autrefois à faire circuler les wagonnets pleins de grès : à droite, à l’écart, on trouve encore une veine d’exploitation à l’abandon.

En bas de la descente pavée se trouve un très vieux chêne remarquable. Les vents tournoyants des tempêtes de ces dernières années ne l’ont pas épargné, mais il tient bon.

L’été, ce chêne me sert de point de repère pour trouver l’entrée du sentier bleu dissimulée par les fougères.

Si on ne prend pas garde, en effet, on poursuit sur un autre chemin, plus large, la route Mory de Neuflieux, et on rate par conséquent la montée à travers le chaos.

Ce qui est dommage, vraiment, parce que ce petit chemin en encorbellement est des plus agréables. 

On y retrouve cette sensation de relief dont j’ai déjà parlé, en serpentant le long du chaos, au fil des blocs de grès dont la roche est tiède et douce au contact – parce que le grès, c’est très doux : une des particularités de cette roche si belle à escalader. 

J’aime beaucoup ce bloc, avec son avancée en toit spectaculaire. Je l’immortalise en argentique : le gris lui va très bien.

De même, plus loin, que cette espèce de bilboquet 

Et le soleil sur les fougères! Magique. En couleur ou en noir et blanc, qu’importe. 

Et comment ne pas penser, en voyant cette mystérieuse marque M peinte sur le tronc, au célèbre « maudit » de Fritz Lang.

Revenons aux végétaux. J’évoquais au printemps une autre plante endémique de la forêt de Fontainebleau : la callune. Non averti, on pourrait la confondre avec la bruyère. Et bien non. Callune et bruyère sont cousines, mais différentes.

Voici la callune – calluna vulgaris – majoritaire sur le massif bellifontain.

Et voici la bruyère cendrée – erica cinerea.

Tu peux suivre ce lien pour ne plus jamais prendre l’une pour l’autre.

Evidemment, ces deux belles à clochettes aiment pareillement l’écosystème de la lande où elles ont élu domicile. Comme en Bretagne, par exemple. Fontainebleau est en effet le dernier écosystème à bénéficier de l’influence de l’océan Atlantique et du Gulf Stream. Après la forêt, en poursuivant à l’est, on passe en Champagne et c’est vite autre chose. Il y a certes encore de la callune mais la lande, c’est fini.

Revenons à la platière, où le chemin sinue entre les fougères, la callune et les blocs.

Parvenu au sommet du rempart, j’aperçois l’une des aires de pique-nique préférée de mes parents, autrefois.

Jadis, cette placette était moins encombrée de végétation. L’hiver, mon père stockait du bois sec sous cet abri rocheux…

… pour faire ensuite griller des merguez sur un foyer de pierres qui restait à demeure et servait à tous les usagers de la forêt – capables en ces autres temps de faire un feu sans incendier l’univers. 

De cette petite plateforme, le chaos descend abruptement vers la vallée, entre les pins dont les aiguilles tombées tapissent le sol. L’air embaume la résine.

Tout en bas, on retrouve un temps un chemin de sable fin…

… puis, de là, on grimpe à nouveau sur la crête entre les roches dont les formes excitent l’imaginaire. Ainsi de cette parade nuptiale de tricératops…

Ou bien de ce visage au regard fiévreux, au front disproportionné, qui me fait penser au jeune Victor Hugo caricaturé dans la presse de son époque.

Il y a un air, non?

Au passage, je laisse ma main traîner sur cette belle roche qui invite irrésistiblement au toucher et à l’escalade.

En parlant d’escalade, je m’arrête un peu plus loin devant Fatman, célébrité des années 90, exemplaire de la très haute difficulté explorée à cette période. Regarde à quoi ressemble son passage en suivant ce lien.

Plus loin, on trouve un autre témoin du passé, l’aérolithe fantôme : un bloc posé sur un autre et qui, lorsque qu’on fait l’effort de le repousser, bouge légèrement sur sa base.

Autrefois, pour intégrer le célèbre groupe des Bleausards, l’un des rituels d’intronisation des nouveaux venus consistait à leur faire escalader ce rocher après avoir bu quelques pintes. Pendant la grimpe, de l’autre côté du bloc, un ou deux membres du club s’amusaient alors à le faire osciller. Le grimpeur bizuté poussait fatalement quelques houlà! effarouchés et tout le monde se tapait sur les cuisses. La bonne blague. Bienvenue à Bleau, camarade!

Lorsqu’on arrive en bas, dans la vallée, le moindre bout de rocher est tapissé de tâches blanches.

La plupart du temps, il s’agit des traces de la poudre de magnésie qui sert à assécher les mains mais dont certains grimpeurs font un usage très excessif.

A Bleau, plutôt que cette farine chimique puisée à pleine paluches dans un sac, les connaisseurs préfèrent le « pof » : un mélange où la magnésie reste minoritaire au profit de la colophane pilée. Le mélange tient dans un nœud de chiffon qu’on tapote sur les prises. Et le reste du chiffon sert à essuyer tout et n’importe quoi : l’excédent de pof, les chaussons, le nez qui coule, etc.

Je serpente à l’arrière des circuits du Bas-Cuvier puis je remonte une dernière fois sur le Rempart, en empruntant cette fois un bout du GR contigu au TMF – Tour du Massif de Fontainebleau dont on aperçoit ici les marques vertes et blanches.

Je prends mon temps pour photographier cette énorme souche…

… qui m’évoque le calmar qu’affrontent les personnages de Vingt Mille lieues sous les mers.

En poursuivant mon chemin sur le plateau, je quitte le sentier un temps pour aller flâner du côté de la Mare à Dagneau – présentée au début de cet article – et ses tourbières asséchées.

Puis je reviens vers la Mare à Piat et, traversant la Route Ronde et délaissant la Grotte aux Cristaux en contrebas, je repique le sentier vers le parking de la Belle-Croix où je me suis garé tout à l’heure.

Fin de la balade.

Et de ce petit tour d’horizon de la forêt de Fontainebleau aux quatre saisons.

Il y a bien des choses, cependant, dont je n’ai pas parlé : la faune notamment – mais il faudrait pour ce faire y consacrer un site en entier, ce que certains passionnés ont fait. Je te renvoie donc en conclusion à quelques pistes complémentaires.

Des livres et des sites

Les livres

NB : Comme d’habitude, les mots passés en gris et en gras sont des liens hypertexte.

Pour commencer : procure-toi la réédition 2005 du

Son premier ouvrage date de 1935 et la 5ème édition est disponible en occasion chez Bezos, fort chère, ou bien à 10 euros dans ma librairie préférée. 

Tout y est dit. Et notamment ceci, extraordinairement vrai :  » On peut avoir contemplé bien des paysages beaux et charmants, de curieuses contrées, des sites lointains et grandioses, et pourtant Fontainebleau nous ravit et nous enthousiasme toujours. »

Ensuite, je ne peux que te recommander la lecture de ce chef d’œuvre méconnu de la littérature française :

Cet immense roman, assez peu lu de son temps, sera redécouvert par la génération romantique de 1830 qui s’en emparera pour influencer durablement la vision qu’on peut encore avoir aujourd’hui de la forêt de Fontainebleau.

Les deux ouvrages suivants ne se trouvent plus qu’en occasion mais je les aime beaucoup, chacun dans leur registre :

    • Le guide de Fontainebleau mystérieux, René Alleau, Tchou, 1967.
    • Fontainebleau, la forêt des passions, Anne Vallaeys, Stock, 2000

Indispensable pour courir les sentiers Bleus :

Enfin, pour rêver de la forêt en couleur, les magnifiques prises de vue de Fabrice Milochau, paysagiste plébiscité par Géo et natif du secteur.

Les sites

    • J’ai abondamment cité Olivier Blaise, photojournaliste. Sur son site, Fontainebleau-photo.fr, les descriptifs des sentiers bleus sont de véritables mines de renseignements et d’informations illustrées. Ses photos de la forêt sont en outre très belles.
    • Je te recommande également deux blogs cités dans l’article, tous deux signés Greg Clouzeau : le premier, la Tribune libre de Bleau, contient entre autres choses une somme complète d’informations pratiques – ainsi que des échanges polémiques qui donnent à voir les différents points de vue qui s’affrontent sur certains sujets ; le deuxième, FontaineBleau-passion, est davantage orienté photographie et sa rubrique faune et flore est très riche.
    • Le site de l’Association des Amis de la Forêt de Fontainebleau – créée en 1907 – est incontournable, et pas uniquement pour s’y procurer le guide des sentiers, lesquels sentiers sont d’ailleurs entretenus par les bénévoles.
    • Enfin, du côté des projets portés par l’actuelle municipalité, cette page présente la candidature de l’extension de la forêt au classement initial du château au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Le dossier de candidature téléchargeable contient, dans sa partie « description », une présentation très documentée de la forêt.

2 réponses sur “Fontainebleau aux quatre saisons19 mn de lecture

  1. Bonsoir,
    Merci beaucoup pour ces nombreux partages de liens et un immense bravo pour la qualité tant de l’écriture que de l’illustration.
    Au plaisir d’une prochaine rencontre sous les frondaisons de cette merveilleuse mais fragile forêt.
    Bien à vous
    Bleau ardemment
    Greg Clouzeau

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