Lorsque j’ai créé les Fantaisies Buissonnières, je me suis posé la question de la manière dont j’allais m’adresser à toi, qui me lis. Tutoiement? Vouvoiement?
J’ai choisi de te tutoyer et je te dis pourquoi dans ce court article.
Tu ou vous : un dilemme francophone

Même s’il existe évidemment des tournures de politesse dans de nombreuses langues, le français est un expert de cette distinction entre le « tu » et le « vous », à la fois remarquable et subtile, véritable marqueur de l’état de la relation personnelle.
Dans les blogs, on retrouve naturellement ces deux modes d’énonciation. Mais la répartition n’est pas toujours aussi évidente qu’on pourrait le croire.
Ainsi certains blogs à vocation purement commerciale utilisent-ils le tutoiement pour donner à leur communication, tournée vers l’achat, l’impression d’une relation faussement amicale, « jeune » et « cool », tandis que d’autre sites, d’évidence très personnels, retiennent quant à eux le « vous » paradoxalement distant. Un « vous » ambigu d’ailleurs, dont on ne sait jamais vraiment s’il est un vouvoiement de politesse ou une adresse au collectif. Peut-être un mélange des deux, faute de réellement savoir choisir.
La tentation du vouvoiement

Neutre, courtois, prudent, le vouvoiement ne bouscule aucun lecteur et peut même donner au rédacteur, lorsqu’il compose ses articles, l’impression de s’adresser à un lectorat pluriel – et de s’imaginer aussitôt des foules entières, avant de consulter les indicateurs de fréquentation de son site et d’aller boire un puissant tonic pour se remettre de la déconvenue cuisante, mais c’est un autre sujet. Revenons.
Naviguant entre politesse retenue et interpellation collective, ce « vous » est donc commode et sans risque. Pratique, en somme. Pas très engagé dans la relation, d’une distance toute professionnelle, mais admettons.
C’est d’ailleurs le choix que j’avais initialement privilégié, pour ne pas paraître agressivement familier certes, mais aussi en raison d’une évolution professionnelle qui m’a permis de découvrir cette forme très élégante de distance chaleureuse que le « vous » peut induire, sans mépris ni mise à l’écart.
Dans la mesure où je m’adressais pour partie à des lecteurs que je ne connaissais pas, et que le vouvoiement m’était donc devenu aussi naturel que son familier contraire, il était logique que j’optasse pour le « vous », en militant de surcroît pour la survie de l’imparfait du subjonctif – pas de petit profit.
Et oui.
Et puis je me suis révisé. Pas pour l’imparfait du subjonctif.
Du tutoiement

J’ai grandi dans cette culture propre aux familles modestes, pour qui : soit la relation est hiérarchiquement ou socialement équivalente, et le « tu » s’impose – le vouvoiement y est même considéré comme incongru, voire déplacé – soit la relation est déséquilibrée, dominée par un rapport hiérarchique ou un complexe de classe, et le « vous » l’emporte aussitôt.
Par ailleurs, jusqu’à ce que je débute dans mon métier de chef d’établissement, où le vouvoiement est très majoritaire dans les situations de communication que je rencontre, je n’ai évolué que dans des univers professionnels où le tutoiement était de mise : entre animateurs de colonies de vacances, y compris avec les directeurs ou directrices de centre, au Club Med ou à Nouvelles Frontières, où l’on tutoyait jusqu’aux clients, à Décathlon, où si les relations hiérarchiques existaient, elles s’exprimaient par le « tu », et entre professeurs enfin, où règne ce corporatisme particulier qui règle un mode d’énonciation proche de celui qu’on rencontre chez les ouvriers.
Longtemps, donc, j’ai considéré le tutoiement comme le seul mode de communication réellement naturel, par opposition au vouvoiement que je considérais comme artificiel et clivant, entièrement dicté par les conventions bourgeoises.
On a lu plus avant que j’avais révisé mon jugement. Ce n’est donc pas cette conception pseudo marxiste qui a dicté mon choix pour les Fantaisies.
Certains contextes brouillent en effet les repères : les sports de pleine nature en particulier. Le « vous » ne tient pas longtemps quand on est tous en maillot de bain sur le pont d’un bateau, après une plongée particulièrement belle, ou risquée. De même, je n’ai jamais entendu personne se donner du « après vous » au pied des voies d’escalade. Idem en refuge d’altitude, ou au bivouac. Il y demeure bien quelques restes de vouvoiement légèrement gauches, au début de la rencontre autour de la soupe, mais le « tu » fraternel l’emporte bien vite dans ce climat d’universalité qui naît de la comparaison des ampoules.
C’est cette intention, ce « pari » de la fraternité du Grand Air, qui a dicté in fine le choix du « tu » quand je m’adresse à toi pour te raconter mes aventures. Avec sans doute, il est vrai, l’influence familiale et souterraine, à peine consciente, de l’héritage du Front Populaire et de la FSGT.
Pour moi, notre rencontre de part et d’autre d’un texte illustré n’est pas si différente que si nous nous étions croisés sur une piste, pour faire un bout de chemin ensemble, dans ce même élan d’effort sportif où le vouvoiement ne tient pas, et peut même sonner faux quand ledit bout de chemin se poursuit au delà d’une journée – fréquent en montagne, cf Un tour en Oisan.
Plus subtilement, c’est aussi une manière de choisir un mode de communication qui m’engage sans réserve. Un vrai choix, au contraire du vouvoiement qui, pour un blog personnel à vocation non commerciale, demeure pour moi aussi tiède qu’inadapté – selon la conception que j’ai du blogging.
Voilà donc pourquoi je te dis « tu » et que je ne le regrette pas.

Super intéressante comme réflexion ! J’ai pour ma part tendance à me sentir agressée par le tutoiement lorsque je lis un article ou que je regarde une vidéo YouTube. Impression assez étonnante étant donné que, comme toi (les chiens ne font pas des chats), j’évolue dans un milieu où le tutoiement est facile. Cette sensation provient peut-être de l’intimité dans laquelle je consomme des articles ou des vidéos. Seule face à mon écran, j’ai la sensation que par le « tu », on m’implique dans quelque chose sans que je n’ai rien demandé… Vive l’introversion !
Curieux, non? L’écran, peut-être. Parce qu’avec le livre, c’est différent. Tiens, Baudelaire – Au lecteur : « Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
– Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère ! » 😉