Même en étant vigilant, l’arnaque aux petites annonce sur Internet est courante. La preuve, très récemment, à travers une bête mésaventure dont j’ai tiré quelques enseignements utiles.
Point de départ
J’ai publié une annonce sur un site dédié à la plongée, lequel site n’est évidemment absolument pas responsable de ce que je vais te raconter. Voici :
Sur des sites généralistes comme Le Bon Coin, je me méfie assez naturellement. Mais sur des sites spécialisés, qui constituent des marchés de niche, je partais jusqu’à présent du principe que nous étions entre passionnés, donc entre gentle(wo)men. Quel naïf!
J’ai d’abord reçu ce courriel, a priori peu suspect :
En y regardant de plus près, pourtant, plusieurs détails subtils auraient dû me mettre la puce à l’oreille :
L’adresse mail d’abord, qu’un (trop) rapide coup d’œil peut associer à une adresse Gmail mais qui, ici, ne correspond à rien d’aussi connu.
L’annonce des frais de port à la charge de l’acheteur, sans négociation préalable. Trop beau pour être honnête.
Pourquoi n’ai-je pas vu ces signes?
Parce que l’arnaque est très bien pensée.
L’entrée en contact sous couvert du site est un déguisement bien commode – encore une fois, plongeur.com n’est pas en cause : ce n’est en effet pas de leur faute si des escrocs y créent de faux profils destinés à duper les membres. L’administrateur a d’ailleurs supprimé ce compte frauduleux dès que je le lui ai signalé.
Les noms et prénoms, typiquement français, et qui plus est féminin pour le prénom, sont eux aussi rassurants – même si, je l’avoue le rouge aux joues, cette impression provient de stéréotypes très idiots : une femme française, plongeuse, serait plus fiable qu’un homme-grenouille étranger? Bravo.
De plus, contrairement à nombre de messages douteux, l’orthographe y est presque irréprochable : hormis une terminaison fautive (je vous pris).
Enfin, la mention d’un paiement sécurisé sur PayPal parachève la mise en confiance.
Une fois hameçonné, la suite
J’ai donc répondu, comme je l’aurais fait à une copine plongeuse, tout en la vouvoyant, que oui, l’objet était toujours disponible, que oui, pas de souci d’expédition en France Métropolitaine, et que très bien pour PayPal.
Retour de la mystérieuse :
« Ok, je reste en attente de vos nouvelles, si vous aviez le prix des frais de port je vous prierais de bien vouloir me communiquer le prix global avec les frais de port puis votre adresse mail liée au compte PayPal afin que je puisse faire le paiement au plus vite possible.
Avez-vous toujours la facture d’achat? »
Là encore, rien de vraiment alarmant. On notera toutefois que les formules de politesse ont disparu, ce qui colle peu avec la courtoisie initiale et la chaleur – même retenue – qu’on trouve généralement dans les échanges entre passionnés. Je me dis que la dame fait comme beaucoup, hélas, et rédige ses courriels comme des SMS. La requête de la facture, à ce stade, n’est pas non plus incongrue. Une nouvelle fois, je ne tiens pas compte des petites lumières rouges qui se sont pourtant allumées dans mon esprit et je fournis les éléments demandés avec copie du ticket de caisse.
Sur quoi, réception d’un nouveau courriel :
« Monsieur,
Je viens de faire le paiement via votre compte PayPal, alors veuillez prendre connaissance de votre boite mail pour la confirmation du paiement, et par la suite veuillez faire l’expédition à mon adresse qui est Aline HUBERT au 1381 chem Erramundegia, 64310 ASCAIN.
Cordialement »
Les formules de politesse ont réapparu, mais je tique un peu : le ton est maladroitement froid et injonctif : quelque chose cloche dans l’énoncé. Pour autant, cette fois encore, à cause du contexte général, psychologiquement malin, que j’ai détaillé un peu plus haut, je ne me méfie pas.
J’ouvre le second courriel, arrivé quasi simultanément :
« Vous venez de recevoir de nouveaux fonds », expéditeur : « Service Transaction Paypal ».
Je plonge allègrement dans le panneau. Un coup d’œil vérificatif aux vrais courriels émanant de PayPal m’aurait pourtant suffi à éventer l’arnaque.
Mais non, couillonné depuis le départ, je m’enferre, ne vérifie rien et ouvre le courriel. Un faux en-tête s’affiche :
Suivi du texte suivant :
Et là-dessous, suite et fin :
La capture d’écran ci-dessus est difficilement lisible. En gros, ça dit que les nouvelles mesures de sécurité PayPal permettent d’éviter les fraudes – l’escroc, non content d’être habile, possède en plus un solide sens de l’humour – on ne reçoit l’argent que quand on a envoyé le colis, voilà qui protège à la fois le vendeur et l’acheteur. C’est écrit : j’aurais mon virement dès que j’aurais renseigné le numéro de suivi.
Plus c’est gros, plus ça marche. Pire – ce qui en dit long sur une naïveté qui confine chez moi à la crétinerie – je confie à mon épouse que ces nouvelles mesures sont super.
Or, je le sais aujourd’hui, sur PayPal, les transactions sont immédiates et jamais conditionnelles.
Dingue, non? Évidemment, tu te dis que je vais enfin comprendre que tout est bidon, que je vais vérifier sur mon compte PayPal, etc.
Et bien non : j’empaquète consciencieusement le colis, ma femme profite d’une course pour passer à la poste à ma demande et expédie le colissimo à l’adresse indiquée. Sur quoi, j’envoie un courriel tout sympa à cette Aline Hubert.
Si.
Je sais. A ce stade de ta lecture, tu es effondré. Moi-même, en me relisant.
Où je découvre enfin l’arnaque
Rentré du bureau, j’ouvre de nouveau le faux courrier PayPal pour renseigner le numéro de suivi. Ma messagerie s’ouvre sur une fenêtre vide et je fronce le sourcil droit. Qu’est-ce à dire? Je ne parviens toujours pas à admettre que je me suis fait avoir. Il me faut un coup de fil au numéro confié, que la tonalité bourdonne quelque part à l’étranger, dans des confins exotiques – Bamako, Lagos, Cotonou – pour qu’enfin, mon cerveau accepte la réalité. Stupéfait, je contemple l’écran de mon ordinateur avec l’œil vide du poisson savamment pêché.
Encore vaguement incrédule, comme sonné, je tape « aline hubert arnaque petites annonces » sur un moteur de recherche. Vérification sans ambiguïté : Milady est bien connue des services! Si seulement j’avais commencé par-là…
Ah, mais ça ne va pas se passer comme ça. Ah non. Zou : je cavale sur le site de colissimo. On peut annuler un envoi suite à une transaction frauduleuse? Formidable! Sauf que même en accomplissant scrupuleusement chacune des étapes, le même message d’erreur final apparaît systématiquement. Idem pour le serveur vocal qui me raccroche même au nez en fin d’arborescence. Ah! Je maudis pêle-mêle la Poste et les escrocs, sur huit générations, avec force gestes incantatoires à base de majeur levé. Vexé, j’ai perdu toute dignité.
Comment on m’aide à rattraper le coup
Le lendemain, aux premières heures, je fonce au bureau de poste. La préposée est compatissante mais navrée : le service informatique du suivi colissimo est en carafe – France entière. La tuile. Elle me dit qu’elle va faire un signalement et me rappellera pour me tenir au courant.
Mais le lendemain, pas de nouvelle. L’informatique des colissimi est toujours aux abonnés absents. Et impossible de me déplacer de nouveau, j’enchaîne réunion sur réunion au collège. Renoncer? Ah non, pas le genre de la maison. Ma femme me propose d’assiéger le bureau de poste : je lui donne carte blanche – prends l’huile bouillante et les catapultes ma chérie!
De mon côté, je contacte la mairie d’Ascain, dans les Pyrénées Atlantiques. On me passe l’élu en charge de la police municipale. Accueillant, patient, attentif : il me demande de lui envoyer un courriel qu’il va illico transférer à la gendarmerie de Saint-Jean-de-Luz. Aussitôt raccroché, aussitôt fait. Une demie-heure plus tard, coup de fil d’un gendarme à l’accent du sud-ouest qui prend très au sérieux mon histoire : une équipe va aller vérifier sur place et il me tient au courant. Je le remercie et m’abandonne en souriant à quelques fantasmes terribles : des prises d’assaut, des ballets d’hélicoptère, un festival de tirs à l’arme lourde vaporisant la fausse perruque d’Aline Hubert.
Là-dessus, réception d’un coup de fil de ma femme : la préposée d’hier, courageuse et pugnace, a forcé la main de son chef, lequel ne semblait pas vouloir, au début, prendre toute la mesure de l’affaire, bien que ma femme lui ait ostensiblement exhibé l’huile bouillante ; de guerre lasse, le mollasson a enfin capitulé et passé un coup de fil à la poste de Saint-Jean-de-Luz, laquelle, comme les gendarmes, s’enquiert et revient vers nous.
11 heures : l’affaire du siècle est bouclée. La préposée me rappelle : ses collègues de Saint-Jean-de-Luz ont identifié l’adresse comme frauduleuse et renvoient systématiquement les colis qui y sont adressés. Je passe un nouveau coup de fil au brigadier pour lui annoncer la bonne nouvelle : il est en route avec une armée pour le chemin d’Erramungia. Ça va chier.
The happy end.
Leçons tirées de l’expérience
En cas de réponse à une petite annonce, quel que soit le site, je te conseille vivement :
- D’être attentif à l’adresse courriel et de ne pas te fier à des serveurs inconnus ou rares.
- D’être sensible à la tonalité du message, à l’orthographe : les messages injonctifs, ou anormalement obséquieux, avec des infinitifs premier groupe sur les participes passés (« Omar m’a tuer ») sont à fuir.
- De te méfier des réponses alléchantes, où l’acheteur potentiel te propose des bonus : frais à sa charge, arrondi à la dizaine supérieure, etc.
- De vérifier sur un moteur de recherche que le nom et le prénom donnés ne sont pas référencés comme ceux d’escrocs.
- De lire sur le site de PayPal les conseils de sécurité pour éviter les fraudes
- De lire également les recommandations de la Police Nationale à ce sujet
- De ne pas basculer dans la paranoïa. Ce jeu du chat et de la souris fait partie du Grand Manège : si comme moi, tu es d’un naturel optimiste et confiant, ne change rien. Rappelle-toi simplement que la confiance n’exclue pas le contrôle…
Excellent ! Surtout ta façon de raconter cette arnaque ordinaire 😂
On te reconnaît bien Patrick !
Bises
Anne-Pascale
Hello Anne!
Oui, oui, je fais le malin : mais sur le coup, j’étais plutôt fumasse, comme tu t’en doutes!
Bises
Hello Patrick,
Tu t’en sors toujours, génial. Ce que Anne ne dit pas c’est que j’ai failli également me faire avoir en vendant SON ordinateur, exactement de la même façon. Alors oui c’est excellent !
À bientôt j’espère.
Denis
Hello Denis,
Merci de ton retour. Et en effet, même vigilant, personne n’est à l’abri. PS : J’aime beaucoup la précision majuscule sur le possessif SON (ordinateur):-))
Amitiés,
Patrick