De la microaventure6 mn de lecture

Lancée en 2012 par un aventurier anglais, Alastair Humphreys, la microaventure est une tendance très en vogue. Pour autant, a t’elle vraiment tout pour nous séduire? Faisons le point, comme disent les marins. 

C'est quoi, la microaventure?

Une idée magnifique, en forme d’invitation : celle que l’aventure peut surgir au coin de la rue et qu’il suffit d’un état d’esprit un tant soit peu ouvert – et d’une pincée de loufoquerie – pour aller la chercher sans grand frais.

Ce dont je suis convaincu de longue date.

A dire la vérité, et bien que certaines de mes Fantaisies Buissonnières participent pleinement du concept, j’en ignorais jusqu’à récemment l’existence. En me rendant par exemple de Fontainebleau à Nantes à pied sur une impulsion rigolarde, je faisais donc comme le bourgeois gentilhomme en son temps : de la prose sans le savoir. On est peu de chose… C’est au hasard d’une navigation de blogs en blogs, cet hiver, cherchant l’inspiration pour refondre ma page d’accueil, que je suis tombé sur des articles vantant les mérites de ce moderne oxymore : l’Exploration de Proximité.

Je n’ose imaginer, s’ils en avaient eu connaissance, ce qu’en auraient tiré l’Alphonse Daudet du Tartarin de Tarascon ou bien le Flaubert de Bouvard et Pécuchet. Mais ne nous égarons pas.

L'inventeur : Alastair Humphrey

Originaire du Yorkshire – la province anglaise, rien à voir avec les microchiens – Alastair Humphreys passe une dizaine d’années à sillonner la planète dans des conditions extrêmes. Pour en savoir plus, je te conseille  la visite de son site.

De retour de cette décennie d’expéditions, repu de crevasses glaciaires ou cutanées, Alastair explore ses alentours natals sous l’angle de péripéties courtes, abordables et ludiques. De cette expérience, il tire un livre-manifeste : si tout le monde n’a pas les moyens d’arpenter le globe à bicyclette, se dit-il, chacun peut en revanche  s’offrir de petites équipées, sportives ou pas, à portée d’un week-end au budget serré : bivouaquer non loin de chez soi un soir de semaine, prendre un train au hasard et revenir à vélo, visiter sa famille éloignée à pied, etc. 

C’est une idée maline et réellement généreuse – j’y reviendrai.

Le National Geographic, lui, ne s’y trompe pas, qui décore Alastair en 2012 du prix d’aventurier de l’année. Respect – sans ironie aucune. Mais point de départ aussi, selon moi, d’un malentendu.

Microaventure VS Aventure?

Dit autrement : la microaventure reste t-elle une véritable aventure, du genre de celles dont on met l’initiale en majuscule?

Pour répondre à cette question, et comme toujours en cas de conflit lexical, convoquons le petit Robert, lequel accourt illico – quel fayot – et s’ouvre de lui-même à la bonne page.

« AVENTURE : {avãtyr} n.f. – adventure XIè ; lat.pop.°adventura, du part.fut. adventurum, de advenire →advenir. 1. vx Ce qui doit arriver à quelqu’un. (…) 2Une, des, aventures : ce qui arrive d’imprévu, de surprenant (…) 3. L’aventure : ensemble d’activités, d’expériences qui comportent un risque, de la nouveauté, et auxquelles on accorde une valeur humaine.(…) 4. loc.adv. A l’aventure : au hasard, sans dessein arrêté. »

Merci Robert, tu peux te refermer. Grâce à toi, nous savons à présent que la microaventure n’existe pas.

La microaventure EST une aventure.

Est-ce si simple?

Pas tout à fait. Reste le problème du A majuscule.

Le préfixe « micro » induit  en effet une forme de modestie – de moyens, de projet, de destination – qui s’oppose bien entendu à la Grande Aventure.

Ainsi, même si je considère mes Fantaisies Buissonnières comme de réelles aventures – et même des microaventures pour certaines, dans la rubrique « en kayak » par exemple – je leur ai tout de même accolés l’adjectif « petites » dans le sous-titre du site, autant par déférence pour les aventuriers professionnels, auxquels je ne saurais me comparer, que par acceptation consciente de ma propre condition d’amateur. En somme, j’ai mis une minuscule à mes échappées. Pas fou.

Soyons honnêtes : il me semble difficile de faire croire qu’un bivouac hivernal dans le jardin, au prétexte qu’il est tombé trois flocons sur Fontainebleau…

… équivaut à une marche au long cours à travers l’Asie, ou bien encore plusieurs mois de survie solitaire dans quelque bush infernal, j’en passe et non des moindres.

La Grande Aventure

Légère digression pour mieux revenir à notre propos : d’où vient notre fascination – la mienne ou celle de millions d’autres – pour les expériences hors norme semblables à celles que je viens de citer?

Et bien tout simplement du fait que, contrairement aux aventuriers professionnels, nous ne sommes, nous, rien d’autre que des humains ordinaires dont les organismes sensibles, les précautions craintives et les horaires imposés conduisent à préférer les tribulations par procuration au véritable appel du monde sauvage – et ses inconvénients notoires : la mort, par exemple.

On aura reconnu ci-dessus Christopher Mac Candless, dont le destin tragique a inspiré le récit de l’alpiniste Jon Krakauer, Into the wild.

Reprenons le fil et demandons-nous donc :

D'où vient le succès de la microaventure?

Et bien, précisément de ce qui précède. Exit le pronostic vital engagé, pour singer le jargon des chaînes d’info. Chacun peut désormais poser en aventurier – avec sa perche à selfie – à la mesure de ses maigres possibilités : physiques, mentales, temporelles. Tout pour séduire le petit bourgeois contemporain : c’est écolo-compatible, carbone free, avec cette petite note de fun indispensable aux vrais esprits libresVivent les RTT en yourte. Broutons des simples. Les voyagistes ne s’y sont pas trompés et se sont allègrement engouffrés dans ce créneau prometteur. Il faut bien nourrir Instagram.

Et donc : en finir avec la microaventure?

Bien sûr que non.

Confondre le concept de départ avec ce que le marketing en a fait est évidemment réducteur. Si je ne suis pas dupe des manoeuvres publicitaires, je sais aussi qu’après tout, chacun organise ses loisirs comme il l’entend. Si pour certains, donc, l’aventure se résume à payer fort cher une séance de paddle sur le Canal de Bourgogne, et bien ma foi, c’est toujours mieux que de se goinfrer de chips devant Netflix. Et puis accessoirement, ça donne aussi du travail aux moniteurs sportifs, pas de petit profit. 

L’important, pour moi – et j’accepte que ce ne soit pas universel – reste de ne pas se mentir. Se mettre flatteusement en scène pour donner à voir ce qu’on n’est pas, tout cela dans un but strictement narcissique, ne m’intéresse absolument pas.

Et de toute façon, là n’est pas l’essentiel.

L'esprit de l'aventure, micro ou pas

Ce n’est qu’après avoir fait le tour de la terre à vélo ou traversé l’Atlantique à la rame, entre autres, bref, après avoir vécu quelques aventures qui n’avaient rien de « micro », que la possibilité d’en entreprendre de plus humbles s’est imposée à Alastair Humphreys. Je pense donc, en déroulant cette logique, qu’au fond, l’esprit de l’aventure – c’est-à-dire la curiosité pour l’inconnu et l’aptitude à sortir de sa zone de confort – était pour lui exactement le même à l’oeuvre et ce quelle qu’en soit l’échelle.

Et c’est là que je trouve sa proposition réellement généreuse : pas tant de mettre l’aventure à la portée de tout le monde – ça, c’est ce que vendent les tour-operator – mais plutôt d’en promouvoir l’essence et la beauté, cette idée qu’il n’y pas toujours besoin d’aller courir jungles et pôles pour s’ouvrir à l’imprévu, et qu’on peut aussi le rencontrer en sortant de chez soi pour peu qu’on accepte le risque – mineur – d’entreprendre le petit « pas de côté » nécessaire.

Je subodore que c’est précisément cela que le National Geographic a reconnu, et distingué. 

Promoteurs de l'intention

J’ai parlé plus haut de la microaventure organisée. On aura compris que ce n’est pas pour moi.  Je ne juge cependant ni la démarche commerciale, ni ses consommateurs. En matière d’aventure comme pour d’autres choses,  je suis laïc. Mais du coup, je ne parlerai pas dans ce paragraphe des sites spécialisés dans la vente de séjours. Si cela t’intéresse, tu pourras toujours aller voir en ligne de quoi il retourne.

Parenthèse : si tu souhaites faire une recherche sur le sujet, tu trouveras deux manières d’orthographier le terme : avec ou sans tiret. J’ai choisi ici d’écrire microaventure sans tiret, par application de la règle grammaticale qui prévaut. Je sais, je suis snob. Fermons la parenthèse.

Je me retrouve totalement dans le projet d’Alastair Humphreys, et je ne suis d’évidence pas le seul. Mes chroniques – à l’exception des voyages plongées qu’on peut difficilement rentrer dans la catégorie microaventures, pour des raisons techniques ou budgétaires – n’ont pas d’autre objet que le sien : d’abord me faire plaisir en allant chercher des escapades à ma portée, puis m’amuser ensuite à les mettre en images et en mots, dans l’espoir que si j’ai pris du plaisir à les vivre et à te les raconter, leur partage te donnera envie de t’y lancer à ton tour.

A l’évidence, c’est aussi ce qui anime quantité d’autres blogueurs que j’ai croisés virtuellement à l’occasion de ma découverte du sujet. Il y en a beaucoup, difficile donc d’en proposer une sélection, à l’exception du site d’Olivier Bleys. Outre qu’il est l’auteur d’un livre sur la marche que j’aime beaucoup…

Il a lui aussi été rattrapé par le virus (oups) de la microaventure.

Malicieusement rebaptisées « aventures de poche », ses virées s’inscrivent totalement dans la démarche et je ne peux donc que t’en suggérer la lecture, en format livre autant que sur la page dédiée de son site.

En prime : Olivier Bleys est un écrivain talentueux, le lire est donc un plaisir beaucoup plus agréable que les enthousiasmes fatigants de certains blogs, dont les salves de points d’exclamation assorties d’émoticones me donnent l’impression de retrouver ces groupes colorés et braillards que je croise parfois sur les sentiers, et que j’ai baptisés les Hordes Quechua. Bref.

Microaventure, mode d'emploi

Pas de prescription ou de longs conseils techniques ici. Juste un exemple.

J’habite en bordure de la forêt de Fontainebleau. Outre que j’y ai grandi – cf cet article – je la connais vraiment bien. Pour moi, quitter la maison à pied pour m’enfoncer sous ses futaies ou serpenter sur ses crêtes de grès n’a donc rien d’une aventure, même micro.

Comment faire pour transformer l’essai?

Facile. Suffit d’y aller en pleine nuit. Seul. Crois-moi, ça change tout. Outre que c’est beau une forêt la nuit, y marcher en solitaire te plonge par moments dans des états d’inquiétude étonnants. Un craquement, un bruissement, le vent dans les branches : et te voilà saisi d’une bouffée de frayeur atavique, ancienne, qui te remonte du fond des contes de fées. Essaie, tu verras. Bien mieux que le train fantôme!

Et puis, bonus photographique, tu peux aussi t’amuser à rendre hommage à Edward Steichen.

En complément de cette lecture, toujours dans l’esprit de ce qui me pousse à « aller jouer dehors », je te conseille également cet autre article tiré du bazar :

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