Ce nouvel essai signé Gérard Guerrier, chez Paulsen, fait suite à son brillant Eloge de la peur, dont j’ai déjà parlé dans un article du bazar intitulé Pour en finir avec la couardise.
Qu'est-ce que le courage?
Une légende urbaine prétend qu’à cette question du bac de philo, un élève aurait jadis répondu, d’un stylo lapidaire en travers de la copie rendue quasi blanche : « Le courage, c’est ça ».
Saluons le panache de ce beau geste rock n’roll, mais : est-ce bien suffisant? Evidemment que non.
Dans ce nouvel essai, Gérard Guerrier poursuit donc son interrogation toute personnelle – et partant, universelle – en tentant de circonscrire méthodiquement cette vertu mystérieuse qu’on qualifie de cardinale – et non, fier mousquetaire, rien à voir avec Richelieu, reprenons.
L’auteur invite les philosophes, convoque son propre vécu, questionne les aventuriers, les sportifs de l’extrême, les militaires ou les policiers, les médecins, toutes celles et ceux qui, évoluant dans un cadre stressant et mortifère, sont confrontés à cette notion si difficile à décortiquer. Il s’interroge à cette occasion sur la distorsion qui peut exister entre la perception du courage exceptionnel que révèle une situation extrême, et le sentiment modéré, ou relatif, que peut en avoir le principal protagoniste, lequel minimisera toujours son propre courage en invoquant l’exercice obligé du devoir ou la maitrise experte de la difficulté surmontée.
Parenthèse d'actualité
Au chapitre 28, pages 203 à 209, Gérard Guerrier relate l’exploit – pas d’autre mot – accompli par le caporal-chef Maxime Blasco au Mali. Après le crash de leur hélico, cerné de tirs djihadistes, « Max », malgré trois vertèbres fracturées, récupère ses deux camarades blessés dans un sauvetage digne d’un scénario hollywoodien. De ce soldat d’exception qu’il a rencontré, Gérard Guerrier dit qu’il « coche toutes les cases : lucide, persévérant, fort et animé par un noble objectif ».
On va revenir à ces catégories.
Mais pour nous rappeler que la guerre n’est précisément pas un divertissement pyrotechnique, le 24 septembre dernier, alors qu’il était de retour au Mali, Maxime Blasco s’est fait descendre par un sniper, dans une forêt d’acacia.
J’ai appris sa mort dans un exemplaire de Paris Match daté du 30 septembre, et j’ai relu, rétrospectivement, le chapitre 28 de Du Courage – avec une pensée émue pour la famille de ce soldat d’exception tombé au loin, pendant que la ville dort, moi inclus.
Les 4 piliers
Ce que Gérard Guerrier dit de la curiosité et de l’optimisme, comme adjuvants du courage, est à la fois très juste et très intéressant. Idem de la vanité et de l’égotisme. Mais là où j’ai vraiment trouvé captivante la mise en forme de ses réflexions, c’est dans ce qu’il nomme les « 4 piliers ».
La lucidité. Comme l’auteur le dit lui-même, l’aveugle qui court au bord d’une falaise n’est pas courageux. Il est juste… aveugle. Exit le courage sans lucidité.
L’élan. La force qui pousse à passer à l’action. J’avoue que de tous les piliers, celui-ci demeure pour moi le plus mystérieux. Conjoncturel, culturel, pulsionnel, narcissique?
La persévérance. Que je comprends comme une inscription de l’action dans la durée et que je lis donc comme un synonyme de l’opiniâtreté. De la capacité à résister à l’usure, quelle qu’elle soit, au risque peut-être de la résignation.
Le noble objectif. Autrement dit: la morale du courage. L’acte est au service du Bien.
Quatre piliers, ou quatre points cardinaux d’une rose des vents variable en fonction des circonstances, mais équilibrée toujours. Une sorte de boussole interne du courage, valable évidemment au quotidien.
Le combat ordinaire
J’emprunte le titre de ce paragraphe à la très belle, et très juste, bande dessinée de Manu Larcenet.
Le combat ordinaire, ou le courage au quotidien : « celui de faire face, debout, à son destin sans jamais se plaindre, de se résigner à trimer pour que ses enfants ne manquent de rien », écrit Gérard Guerrier, en songeant rétrospectivement à la vie de ses propres parents.
C’est aussi le courage si peu spectaculaire, et pourtant digne d’admiration, de ces femmes de ménage que Florence Aubenas, citée par Gérard Guerrier, a rencontré sur Le quai de Ouistreham (Editions de l’Olivier, 2010).
Résonances
Du Courage débute par ces mots : « nous sommes nombreux, trop jeunes pour l’avoir vécu, à nous être demandé un jour ce que nous aurions fait durant l’Occupation? »
Elevé par des parents dont l’enfance s’est déroulée à cette période, petit-fils d’un humble facteur, résistant corrézien, j’ai moi aussi longtemps questionné la manière dont je me serais positionné en pareilles circonstances, notamment face à la menace cauchemardesque de la torture. Je me souviens avoir interrogé mon grand-père, vers l’âge de quatorze ou quinze ans : comment fait-on, sans le savoir à l’avance et en dépit des risques énormes, ce que l’histoire jugera ensuite comme le « bon choix »? Mon grand-père avait été à la fois évasif et précis : une évidence, m’avait-il dit. J’ai su plus tard qu’il avait rencontré les idéaux communistes lors de son service militaire dans l’Allemagne occupée des années 20, porteurs alors de valeurs humanistes qui étaient les siennes, totalement antinomiques de la doctrine nazi. Mais sa réponse m’avait cependant laissé songeur parce qu’il me semblait alors qu’elle ne disait pas tout, et qu’elle taisait notamment la part mystérieuse de » l’élan » qui avait pu le pousser à agir.
A ce sujet, Gérard Guerrier a publié un autre ouvrage que les éditions Guérin/Paulsen viennent de rééditer : Résister – vie et mort d’un maquis de montagne
Conclusion(s)
Dans mon article cité supra, je terminais ma réflexion par ces mots : « le courage est (…) une qualité humaine qu’il appartient à chacun de cultiver. A sa propre mesure. (…) On pourrait croire que ce n’est, au fond, qu’une banale histoire d’orgueil. Faux. C’est une histoire de dignité. »
Le tout dernier paragraphe de Du Courage est le suivant:
« Il est essentiel que les individus continuent à se frotter à l’inconnu et au danger, en pratiquant, par exemple, des sports à risque ou en partant à l’aventure, pour découvrir leurs propres limites, mieux se connaitre et continuer à grandir. Le courage fait et continuera à faire la dignité de l’Homme… privé comme public. »
Comme je souscris!