Deuxième étape du trek Génépi Lavande, juillet 2024
Par les cols d’Italie. 17 kilomètres, 1800 mètres de dénivelé positif, 11 heures.
Réveil à cinq heures, avec le petit jour.
Je replie le camp puis je me fais un café que j’avale avec une paire de Figolu et un comprimé de vitamine C en guise de jus d’orange.
Sur quoi, je me mets en route en suivant l’Ubaye, tandis qu’au loin les crêtes les plus hautes attrapent les premières lueurs de soleil. Il est six heures.
Au bout de mon chemin, je passe sur un pont de bois qui enjambe le torrent. De l’autre côté, derrière des clôtures, j’aperçois des moutons. Y aura t-il un chien?
Et oui : un gros, qui court vers moi en aboyant et en montrant les crocs – fort impressionnants, les crocs.
Comme je l’ai déjà dit plus haut, je crains les chiens. C’est une peur ancienne, enfantine, dont je connais parfaitement la source et que j’ai cependant appris à dominer au fil des années. J’arrive même à différencier aujourd’hui un comportement agressif d’une attitude de simple curiosité, ou de jeu. J’adopte donc l’attitude conseillée par ces panneaux que l’on croise un peu partout…
Mes bâtons à l’horizontale dans une main, calme – en apparence – je parle au patou, le félicite de si bien faire son travail et l’assure que je m’éloigne, que tout va donc bien et que je ne vais pas plonger mes canines dans la jugulaire d’une brebis. Du moins pas tout de suite parce qu’il est encore tôt pour boire du sang frais, hein le chien?
Bref, je gère.
Mais un deuxième molosse accourt à son tour, suivi d’un troisième! Ah. Encerclé, je ne change cependant pas de méthode, les chiens non plus, et je chemine ainsi avec les aboiements sur mes talons pendant environ cinq minutes que je trouve pour le coup bien longues et désagréables au possible.
Puis, leur mission accomplie, les patous me laissent aller et s’en retournent vers le troupeau. De mon côté, je poursuis ma route, le rythme cardiaque un peu haut, en grommelant, je le confesse, deux ou trois malédictions bien senties : sur les chiens, les bergers, les loups qui obligent les bergers à avoir des chiens, l’impossibilité technique de se déplacer avec un sabre laser, etc.
Puis le calme revient, je m’éloigne. Je m’en suis bien sorti, finalement.
Plus haut, tandis que je chemine à l’ombre frisquette et humide, j’observe le soleil qui illumine les crêtes encore lointaines.
A la sortie de la forêt de mélèzes, la nature de cet éclairage se précise : c’est de la dorure à l’or fin, à grande échelle, qui poursuit sa progression sur les reliefs…
… et je contemple la lumière, amusé, se déployant sur la prairie, onde lumineuse rapide qui change l’ombre en lumière à vue d’oeil.
Je parviens bientôt sur une espèce de replat traversé par un torrent – dit de Mary – que je franchis à gué en faisant attention de ne pas tomber à l’eau.
De l’autre côté, la pente grimpe, raide, peuplée de marmottes peu farouches qui se laissent photographier de près. J’en profite.
Puis je continue de monter vers les lacs de Marinet et le col du même nom.
Si le premier lac est magnifique, encaissé, bordé d’arabettes blanches…
… le deuxième est spectaculaire : ses eaux de cristal, sa taille, son emplacement, tout concourt à le rendre extraordinaire.
Je m’y rince le visage, les mains et les avant-bras, puis je fais tremper mes pieds. L’eau est fraîche, dix ou onze degrés, mais pas glaciale. C’est très agréable.
Sur quoi, je décide de faire une pause collation et de mettre tente et duvet à sécher – j’ai eu pas mal de condensation lors de mon bivouac.
Après cette petite demi-heure de pause bienvenue, je repars en direction du col de Marinet. Le premier de la journée.
Je le franchis, au seuil de l’Italie. Ce col marque en effet la frontière entre nos deux pays. Je passe donc de l’autre côté, en direction des passages italiens de Ciaslaras et de l’Infernetto.
J’entre dans une zone d’éboulis et de névés résiduels.
J’ai pris avec moi des accessoires anti-verglas très légers – ce sont de simples semelles de caoutchouc ponctuées de clous, avec les sangles coulées dans la masse – mais je n’éprouve pas le besoin de les enfiler. La trace est faite, la neige molle et la pente peu prononcée. Les fortes chaleurs de ces derniers jours ont considérablement réduit ce névé qui, en juin, doit par contre occuper la quasi totalité de la zone où il ne subsiste à présent que par petites plaques.
J’aborde ensuite le col de Ciaslaras avec pas mal de perplexité : sa très forte inclinaison dans les éboulis me fait une impression assez négative.
Et en effet : ça grimpe! Dans des schistes glissants et de la caillasse pas stable sous la semelle. Arc-bouté sur les bâtons, j’en bave en pestant. Bagarre.
Mais enfin – et c’est ce que j’aime avec la marche, quel que soit le rythme, on finit toujours par arriver – j’atteins le col. Vue imprenable sur les lointains d’où je viens…
… et vue tout aussi imprenable sur la descente pentue dans laquelle je n’ai pas d’autre choix que de plonger!
Je dégringole donc, très attentif à ne pas rouler sur les pierres traîtresses.
Je croise un petit groupe qui monte en ahanant, courbé sous le poids de sacs à dos monstrueux. Les montées sont déjà dures avec le mien, qui ne pèse pourtant que 7 kilos avec l’eau et le pique-nique, alors pour eux, je n’ose imaginer – les malheureux! Je leur adresse un sourire compatissant quand je les laisse passer en leur cédant la priorité qui leur est due.
En bas de cette descente, le relief dessine une sorte de vallon encombré d’éboulis, au milieu desquels sinue le sentier.
A un croisement, je prends la direction du col suivant : le colle del Infernetto. J’en profite pour remarquer que si les temps de marche portés sur les panneaux côté français sont parfois légèrement surestimés, côté italien, en revanche, ils me semblent bien optimistes. Une heure pour rejoindre le col de Ciaslaras, d’où je viens, compte-tenu de la pente, ça me paraît très présomptueux.
Le chemin qui mène à l’infernetto traverse des zones d’éboulis.
De loin, le col du « petit enfer » me semble bien moins raide que le précédent. Aurait-il usurpé son titre?
Nenni. Illusion d’optique. De face, on voit très vite que la géologie a soigné l’inclinaison, ici aussi.
Le sol est friable et instable et roule sous la semelle. Je n’aime pas ça du tout, particulièrement dans une pente qui par endroit excède les 45 degrés.
Voici un indicateur visuel très simple pour appréhender facilement les angles des pentes :
Je décide de passer au plus près des roches, à gauche, où d’ailleurs se trouve le sentier. Dans la partie la plus raide, 50° environ, des planches de bois ont été plantées dans le schiste. Je les franchis d’abord puis les photographie ensuite, à rebours.
A partir de cet endroit, des cordes et des câbles ont été installés en mains-courantes.
Cette aide bienvenue permet de franchir les dernières dizaines de mètres de façon sûre et relativement confortable. Disneyland. Presque.
Et enfin le col. Ouf.
La vue retrospective sur le Chambeyron et le col précédent est absolument magnifique.
De l’autre côté, le chemin continue à flanc de pente.
J’y croise un couple – chargé là aussi de sacs à dos énormes.
L’homme me demande comment c’est ensuite, là d’où je viens. Je conseille la prudence dans la descente du col, mais je leur dis aussi que c’est splendide – je ne suis pas là pour dégoûter qui que ce soit, même si, en mon for intérieur, je n’aimerais pas avoir à dévaler l’Infernetto comme ils vont devoir le faire. Surtout avec leurs bagages.
Nous poursuivons nos routes respectives et la mienne fait le tour d’une colline au sommet de laquelle se trouve une étonnante roche trouée en forme de chas d’aiguille.
Dans cet environnement minéral, à plus de 2500 mètres d’altitude, l’herbe est rare et les lacs sont bleu-vert.
En hauteur de celui-ci se trouve un refuge italien. L’intérieur est propre et soigneusement aménagé. Un couple le visite.
Depuis le col de l’Infernetto, je croise de nouveau du monde. Je suis dans un secteur davantage parcouru – le Tour du massif du Chambeyron.
Je ne suis d’ailleurs plus tellement loin de mon objectif. Il me reste cependant à grimper le col de la Gypière (2927 mètres) qui va me ramener côté français.
Je souffre dans la montée : kilomètres et dénivelés s’additionnent et cela fait bientôt dix heures que je marche… Les pas sont lourds et ralentis et je pèse sur mes bâtons de tout mon poids.
Mais enfin, voici le dernier col du jour. Ouf.
Il me reste à descendre vers le célèbre lac des Neuf Couleurs, traversant pour ce faire un dernier névé…
… puis, du lac, poursuivre mon chemin désormais fort peuplé pour rejoindre le refuge du Chambeyron.
Quand j’arrive au refuge, je me fais connaître – j’ai réservé mon repas et un panier pique-nique pour demain – et je m’offre une bière fraîche au soleil avant d’aller monter le camp.
Une fois la tente plantée à l’écart, pour être tranquille car il y a pas mal de monde, y compris des familles avec enfants puisque l’accès est assez facile depuis Fouillouse…
… je descends me laver dans le lac. A l’eau uniquement, car même si j’ai du savon de Marseille, je ne tiens pas à polluer cet écosystème fragile. Je m’offre donc davantage un dessalage à la peau de chamois qu’une douche revigorante, mais enfin, je me sens tout de même un peu plus propre après cela. Moins collant dirons-nous…
A table, au dîner, je suis en compagnie de quatre botanistes, deux hommes et deux femmes, qui séjournent ici pour prélever des échantillons de toutes les sortes de… génépi!
J’ai pris cette photo il y a trois jours, avec mes amis des Deux Alpes, au retour d’une boucle de deux jours en Oisan destinée à me remettre en jambes. Passons.
La recherche des botanistes m’amuse, rapportée au nom du trek que j’ai entrepris. Je le décris sommairement. L’une des deux femmes, en m’entendant nommer la brèche Borgonio qui se trouve plus tard sur mon trajet, me dit qu’elle est impraticable. Il y aurait eu des éboulis. Ça ne passe plus. Elle me conseille de me renseigner au refuge de Vens – au pied de cette brèche – en temps utile. Je note l’info.
A ma droite, mon voisin est un sympathique randonneur de Manosque qui connaît bien le coin. Demain, je dois franchir le col de la Portiolette pour accéder à la batterie de Viraysse – une fortification militaire utilisée en 1940 lors de la bataille des Alpes – par l’envers. Or mon voisin me le déconseille et recommande plutôt le passage, beaucoup plus facile, par le col de Mallemort. Il est déjà allé par le vallon en raquettes, l’hiver, et la montée à la batterie de Viraysse par ce biais lui paraît inaccessible.
Autre conseil : éviter les lacs de Lignins. S’y trouve en effet une bergerie, des troupeaux, et surtout un berger pas commode et des patous très agressifs. Ah. Flûte.
Autant je garde pour moi le fait que je veux tenter quand même la batterie de Viraysse par la traversée entre les deux barres rocheuses que j’ai repérées sur la carte, comme prévu – les conditions estivales étant fort différentes des hivernales – autant la mention de chiens agressifs me refroidit salement. Mais cela concerne la fin du voyage, on n’y est pas encore et donc on avisera plus tard.
Sur quoi, il est temps pour moi de saluer la compagnie et d’aller me glisser dans mon duvet, même si les crêtes sont encore baignées de soleil : j’ai une rude journée qui m’attend demain.