Marcher, une philosophie2 mn de lecture

On serait tenté de croire avec la fameuse comptine que « la meilleure façon d’marcher, c’est encore la nôtr-euh, c’est de mettre un pied d’vant l’autr’ et d’recommencer ».

Bien sûr.

Mais on pressent aussi très vite que pour évidente que soit la proposition, la marche ne saurait se réduire à cette répétition bêtement biomécanique.

L’ouvrage de Frédéric Gros part exactement de ce postulat : derrière la simplicité d’une activité enfantine : la richesse d’une somme prodigieuse d’expériences.

Un bon livre me brasse comme il le ferait d’une pâte à pain : en me repliant sur moi-même autant qu’il m’élastique et m’assouplit dans des directions que je ne soupçonnais pas, et, se faisant, m’aère et me fait lever – pour filer la métaphore boulangère.

En ce sens, le livre de Frédéric Gros est un TRES bon livre.

Il n’y a pas un chapitre qui ne me fasse l’effet que je viens d’évoquer. Libertés, solitudes, silences, éternités, élémentaire… –  tous me renvoient à ma sensibilité de marcheur. Je devrais dire mes sensibilités, dans ce qu’elles ont de commun ou de spécifique selon l’espace qu’elles ont emprunté – chemins de latérite, sentiers de sable, routes asphaltées, tapis d’humus et crêtes de granit – ou bien selon le temps, autrement dit l’âge, auquel je les ai éprouvées.

Je m’y retrouve jusque dans la routine de mes promenades régulières en forêt où, dans certains secteurs, je connais le moindre rocher, la moindre mare, le moindre de ces arbres remarquables ornés d’un point bleu qui étaient là bien avant moi mais dont je constate pourtant, sur les plus vieux d’entre eux, avec une espèce de mélancolie douloureuse, l’implacable décrépitude. Je sais : je m’y vois en miroir, merci, n’en rajoutons pas…

Je me reconnais même au chapitre du flâneur des villes, moi qui aime tant me perdre dans les métropoles, volontairement séparé du courant ambiant comme une curiosité flottante, disponible à l’accroche de la première berge venue.

 A quoi s’ajoute la pensée de marcheurs célèbres : Nietzsche – « il faudra un cheminement et des ascensions ; car c’est toujours de soi qu’on fait expérience » – Rimbaud et sa rage de fuir qui me parle si bien, Rousseau, dont la paranoïa victimaire m’a longuement écarté, à tort, de la profondeur et de la sincérité de ses pensées, l’ascèse incorruptible de Thoreau, la radicale opposition des cyniques grecs, ces punks salutaires… Il n’est pas un chapitre, un paragraphe, qui ne vienne interroger, amplifier, faire résonner – raisonner – ce que l’on éprouve confusément à travers l’expérience multiple de la marche.

Et tout cela dans une écriture fluide et belle sans coquetterie : la voix du mitron sonne juste.

Une lecture indispensable !

Frédéric Gros, Marcher, une philosophie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *