Sixième étape du trek Génépi Lavande, juillet 2024
Par le col de Pal. 23 kilomètres, 1600 mètres de dénivelé positif, 11 heures.
Réveil avec le jour, comme d’habitude.
J’ai plutôt bien dormi cette nuit : il a fait doux et mon matelas n’a pas trop glissé à droite et à gauche sur le tapis de sol. Je n’ai pas eu de condensation à l’intérieur de la tente et ma lessive, que j’ai volontairement laissée sur son fil hier soir, est sèche.
C’est fou d’ailleurs : il est cinq heures du matin, on est à plus de mille mètres d’altitude, et il fait déjà une vingtaine de degrés! Je n’ose imaginer la température au niveau de la mer…
Je remballe rapidement et je vais me faire un café au réchaud sur l’une des tables de pique-nique placées non loin du bloc sanitaire, café que j’agrémente avec des Figolu et une pâte de fruit.
Là-dessus, gourde rechargée d’eau fraîche, en route!
Au revoir…
Et bonjour la piste.
Je monte tranquillement vers la Vacherie de Demandols, seul au monde.
Puis, vers sept heures et demies, et bien qu’il fasse encore relativement frais, un nuage de mouches zonzonnantes et collantes se met à tourner autour de ma tête.
Je suis moins seul d’un coup, et c’est très désagréable.
J’ai rangé mes bâtons repliés sur le côté de mon sac et je fais tournoyer ma serviette autour de mon crâne en chasse-mouche, en continuant sur la route qui prend ici des allures de décor du « salaire de la peur ».
Le côté encaissé offre de belles perspectives sur le torrent qui coule en bas des gorges. J’aperçois même la résidence secondaire idéale.
Plus haut, en abordant un mini hameau désert et sa fontaine dessinée par un schtroumph…
… je découvre une stèle à la mémoire des victimes américaines d’un accident d’avion. En 1954. Il y a même un morceau tordu de la carlingue posé en ex-voto. Glaçant.
A part cet article dans un Nice-Matin daté de 2015 – année du crash suicidaire de l’A320 de Germanwings dans les Alpes de Haute-Provence – je n’ai pas trouvé grand-chose à ce sujet.
En face de ce monument se trouve une chapelle…
… et deux maisons rustiques, inoccupées à ce que j’en perçois, mais très bien entretenues.
J’atteins mon premier objectif du matin : la vacherie de Demandols – dont je relie évidemment l’activité, même si elle est a priori suspendue actuellement, à la présence du nuage de mouches qui ne m’a pas quitté depuis une heure et demie.
C’est à devenir dingue.
Tiens : cette rapide vidéo te donnera une idée de l’ampleur de l’invasion…
Honnêtement? C’est INSUPPORTABLE.
Mais bon. Quoi faire?
A part prendre la direction du col de Pal, bien entendu.
Laissant en contrebas les bâtiments vachers…
… je me dis que les mouches devraient en principe me laisser tranquille.
Ben non.
Elles m’accompagnent, bourdonnantes, insistantes, inopportunes : une vraie plaie. Biblique. Pas moins. Impossible de m’arrêter, sous peine de disparaître dans un essaim tourbillonnant.
Le chemin est recouvert de végétation : pas très fréquentée la montée au col de Pal.
En entrant dans ce mélézin, j’ai un soudain un espoir.
Pour une raison que j’ignore, en effet, je n’ai plus aucune mouche autour de moi. J’en profite pour boire un coup de flotte puis je reprends ma progression.
Mais IphiGéNie a beau m’indiquer le chemin, je ne le vois pas. Il est littéralement enfoui sous la verdure.
A part les sangliers, je ne suis pas certain qu’on soit très nombreux à passer par ici.
Je ne compte évidemment pas les mouches, revenues en force dès la sortie du sous-bois.
Ici, un pan de la montagne s’est fait la malle, sous l’effet de l’érosion ; je m’avance donc dans les marnes en faisant très attention. Mais ça passe bien, sans souci.
Dans la prairie, les hautes herbes m’arrivent parfois jusqu’à la taille, voire au nombril. Je sonde devant moi avec les bâtons, anticipant les trous qui se cachent sous la végétation, véritables pièges à cheville.
Puis, progressivement, à mesure que je m’élève, je sors de l’étage forestier.
En face, le massif est sauvage, magnifique.
Je parviens sur une espèce de replat, où se trouve une cabane, en contrebas de laquelle un curieux morceau de terrain brun figure peut-être un ancien potager.
Puis la densité des hautes herbes et des orties s’intensifie encore.
A tel point que progresser en short n’est plus tenable. Je me change dans les herbes : je passe mon pantalon et je troque mon tee-shirt pour un sweat à manches longues – parce qu’en plus des mouches, il y a maintenant aussi des taons. Voraces.
Sur quoi, je repars, en essayant de deviner le chemin dévoré par le végétal, attentif à ne pas me tordre les pieds ou les jambes dans l’un des nombreux terriers de marmottes qui trouent le sol.
La montée vers le col, sans être raide, me paraît interminable.
Il y a quelques cairns, de loin en loin, mais je me fie surtout à IphiGéNie – en mode hyper détaillé – pour ne pas perdre le chemin invisible.
Peu à peu, au gré de l’élévation, la physionomie du paysage change : la végétation se fait plus rase et le calcaire et le schiste prédominent, sous forme par endroits de rides parallèles et saillantes. Ça me fait penser aux Causses.
J’atteins enfin le col de Pal.
Au col, le vent est extrêmement fort. J’adore : non content de me rafraîchir, il chasse les mouches!
J’en profite donc pour pique-niquer, face au vent, provisoirement débarrassé de mes irritantes accompagnatrices.
Je repars ensuite, en devinant de nouveau mon chemin, entre ce que m’indique IphiGéNie et ce que je peux distinguer autour de moi, tels ces poteaux, qui semblent m’envoyer dans la bonne direction.
L’aspect du paysage, en contrebas du col, est très « post-apocalyptique », et cette impression est encore renforcée par le vent et le temps qui s’est couvert.
J’ai même droit au village des survivants. Ambiance!
Le chemin descend vers les constructions et passe à la droite de cette casemate, côté pente.
Je jette un oeil à l’intérieur : des gravats, une paillasse d’évier jetée à même le sol et deux matelas roulés de mousse jaunie suspendus à une poutre pour ne pas toucher le sol. Cosy. Plus loin, j’avise d’autres abris. Ou du moins, ce qu’il en reste.
Quelques avalanches de rocs les ont en effet bien broyés.
Je passe précautionneusement entre les orties, les dalles effondrées transformées en chausse-trappes, les tôles tordues et les gros éboulis.
C’est assez rock n’roll. Il ne manquerait plus que je sois poursuivi par des survivalistes cannibales… Ne ris pas, le lieu s’y prête. Et justement : en remontant sur la pente herbeuse, mon attention est attirée par un mouvement.
Là : derrière ces autres constructions…
J’aperçois l’éclair fauve d’une fourrure qui court en diagonale – un chien, de bonne taille, un peu efflanqué. Un patou? Je n’ai vu aucun troupeau depuis la vallée. Et puis par ailleurs, un patou m’aurait foncé dessus en aboyant. Celui-là fuit plutôt ventre à terre. Je n’ai pas sitôt sorti mon téléphone de la poche qu’il a disparu derrière une crête. La rencontre n’a duré que dix ou quinze secondes, au plus.
En fait de chien, serait-ce… un loup?
En contournant la dernière casemate, je tente de nouveau de l’apercevoir, en vain.
L’animal que j’ai vu ressemblait à celui-ci.
Et moi qui croyais que tous les loups étaient gris.
Un loup! J’aurais vu un loup…
Je n’ose y croire tellement ça me paraît extraordinaire.
Cela étant, c’est ici-même en 1992, au col de Pal dans le Parc du Mercantour, qu’ont été observés les premiers loups de retour en France. Pas si étonnant, donc.
Je contemple à rebours les ruines effondrées sur lesquelles je suis passé à flanc de pente, et au-dessus desquelles j’ai aperçu la bête qui cavalait.
Puis je m’engage dans la descente, vertigineuse à souhait.
Je perds assez rapidement de l’altitude mais le vent reste fort. Mes amies les mouches me laissent donc tranquille.
Au détour d’un virage, je tombe sur mes premières lavandes sauvages!
Les fleurs sont violet foncé, odoriférantes. Magnifiques.
Par endroit, des fleurs jaunes – cytise ou coronille? – se mêlent aux touffes de lavande, dans un contraste de couleur du meilleur effet.
La descente se prolonge. Comme à la montée, le sentier parfois disparait purement et simplement. Il s’arrête et il faut deviner la poursuite de la trace sous les herbes.
En suivant IphiGéNie, ça va, mais je reconnais tout de même que de temps à autres, je peste : je crois que la phrase que j’ai la plus prononcée depuis ce matin, c’est : « mais il est où ce putain de chemin à la fin? »
Tout en bas, j’accède à un torrent dans lequel je me trempe longuement les pieds brûlants. J’en profite également pour virer l’eau chaude de ma gourde et la remplacer par de l’eau bien fraîche.
Puis je repars, tout en ne comprenant pas du tout où m’envoie le sentier. Sur une espèce de pente rocheuse pourrie, d’abord, puis sur une sente envahie de végétation, où se trouvent quelques vieilles traverses de bois.
Ça m’a tout l’air d’être un chemin abandonné mais IphiGéNie est formelle.
Tu es sûre ma vieille? Parce que la passerelle sur laquelle on débouche, là, me fait une impression des plus défavorables. Tout un pan de rambarde est déjà dans le ravin!
Je ne m’attarde pas et traverse en hâtant le pas.
En face, nouveau dilemme : il est où le chemin? Nulle part, en fait. De fausses traces en croupes herbeuses, j’atterris dans une sorte de sous-bois en pente où la progression est difficile. Et évidemment, qui est de retour? Les milliers de mouches qui n’attendaient que ça, évidemment! Calvaire!
Je décide de grimper tout droit, en dépit des obstacles. Bagarre. Je bâtonne à tout-va dans les lianes en poussant des tas de jurons râlatoires – si, ça existe « râlatoires », c’est un néologisme de la même veine lexicale que la « minéralitude ». Voilà.
Sur quoi la pente s’apaise et je me retrouve dans une forêt semée de vieux taillis abandonnés.
Là, je retrouve un tracé qui figure sur ma carte. Ouf.
En analysant la provenance de ce sentier, je comprends mon erreur : je pense en effet que le chemin que l’application m’a fait prendre est désaffecté, du fait notamment de l’état douteux de la passerelle. L’itinéraire devait probablement partir du torrent où je me suis arrêté et j’ai dû louper la balise ou l’indication.
Qu’importe. Je ne suis plus très loin de la jonction avec le GR.
Arrivé en contrebas du hameau des Tourres, je me trouve au bord d’une piste comme celle de ce matin. Je consulte la carte et décide de délaisser le GR. Il fait chaud, j’ai mal aux pieds et les mouches m’exaspèrent. J’ai hâte d’arriver à l’étape et cette route me paraît parfaite pour ça : plus rapide et directe que le sentier. Allez hop.
Le soleil cogne. Je remballe mes bâtons et m’abrite à l’aide de mon parapluie jusqu’à ce qu’une longue boucle passe à l’ombre, où coule un torrent dans lequel je me rafraîchis agréablement le museau surchauffé.
Puis je poursuis ma descente vers Châteauneuf d’Entraunes, en franchissant un tunnel creusé dans le calcaire à la sortie duquel…
… j’ai l’impression de me retrouver dans le Verdon.
Je marche en admirant ces magnifiques baumes calcaires, et j’aperçois au loin ma destination finale, Châteauneuf d’Entraunes.
En arrivant en bas de la route, je reconnais la photographie que m’a envoyée mon hôte du soir pour accéder à sa maison.
Marc me permet en effet de planter ma tente chez lui – nous sommes entrés en contact quand je préparais ce trek via un site très malin qui s’appelle home camper.
Marc est installé à Chateauneuf d’Entraunes depuis 40 ans, où il a longtemps tenu un gîte.
Il m’offre de l’eau fraîche au sirop à l’ombre de son salon, volets plein sud tirés à cause du soleil qui cogne. Le Tour de France arrive à l’étape en sourdine, sur la télé. On papote. Il me confirme que c’est bien un loup que j’ai aperçu au col de Pal.
Nous nous penchons sur mon itinéraire de demain : je lui ai expliqué que je craignais les patous des lacs de Lignins, qu’on ne m’a pas décrits sous un jour très plaisant, et que j’aimerais donc les éviter en modifiant le tracé de Gérard Guerrier.
Marc déplie une carte top 25 du secteur. J’ai pris quelques repères, qu’on essaie tous les deux de relier à la manière des points de ces dessins mystérieux, dans les magazines enfantins : Sauze, Villeplane, La Pinée, col de Melina, Aurent. Peu à peu, mon tracé prend forme et j’en prends la mesure en entier. La vache! Je ne trahirai pas l’esprit de Génépi-Lavande pour cette avant-dernière étape : ça fait une sacrée tirée.
Là-dessus, nous descendons visiter l’aire de camping. Au passage dans la pente, Marc me propose de dormir dans sa roulotte si je préfère. Pourquoi pas? J’aime bien l’idée.
Je m’installe en ouvrant les fenêtres pour faire entrer de l’air.
Puis je profite du tuyau d’arrosage relié à une douche solaire pour me laver sur la petite terrasse au pied de la roulotte.
Après quoi, décrassé, lessive faite et mise à sécher, je monte dîner en ville en longeant des parcelles où broutent des moutons.
C’est très calme.
L’unique restaurant, les Ecureuils, se trouve sur la jolie petite place centrale, non loin de la fontaine et du four communal.
Unique restaurant dont je suis l’unique client. Je suis servi par Baptiste, rémunéré par la commune pour tenir la table et le gîte, lequel Baptiste m’a préparé une succulente daube de boeuf avec des tagliatelles. On bavarde et une habitante se joint à nous au moment de mon café. Baptiste se sert une bière et la dame opte pour un petit Martini. Rouge. C’est vrai qu’il est encore l’heure de l’apéro. J’ai mangé tôt mais j’étais affamé. La deuxième assiette proposée en rab n’a d’ailleurs pas fait un pli.
Nous papotons de tout et de rien puis je prends congé en passant récupérer un fromage de chèvre dans le four communal, me débarrassant au passage de ma monnaie dans la corbeille prévue pour ça. Du poids en moins.
Sur quoi, je retraverse le village, reconnaissant le « cafoutchi » posté sur le site de Gérard. Moins la grue jaune. Il y a du mieux…
Le jour décroît sur les collines.
Je passe voir Marc avant de retrouver la roulotte. Je lui ai en effet demandé s’il pouvait me lifter en voiture demain matin mais il se trouve que Brigitte, sa voisine, descend en voiture à Guillaumes à six heures et demie. Elle se propose donc de me faire gagner les 500 mètres de dénivelés en me laissant au pont de Paniès. Banco.
Sur quoi, je regagne la roulotte et, fenêtre ouverte sur la vallée et l’air qui fraîchit agréablement, je m’enfonce mes bouchons de mousse dans les oreilles et je disparaîs presque aussitôt de la surface de la terre.