Avant-dire
Je fais partie de ces citoyens qui se méfient terriblement des petits Goebbels contemporains, toujours prompts – c’est le cas de le dire cf. le paragraphe suivant – à manipuler les masses en pervertissant la représentation du réel grâce à l’Intelligence Artificielle.
NB : « un prompt est une instruction ou une série de données fournies à un système d’IA, qui utilise ces informations pour générer des réponses ou des créations en texte, image, ou autre forme de média » – définition donnée par le site juridique Lefebvre-Dalloz.
L’arrivée récente à la Maison Blanche d’un tandem de milliardaires schizoïdes, dont l’un est un mythomane mégalo, l’autre un psychopathe obsédé par son immortelle retraite loin d’une terre qu’il aura contribué à rendre inhabitable, n’est pas faite pour me rassurer.
Mais enfin, comme on ne peut pas flipper continuellement sans y laisser sa santé mentale, autant rester léger et s’amuser un peu : jouons donc avec l’IA.
Certes, me diras-tu, mais pour quoi faire?
Et bien, peut-être pour mieux découvrir son fonctionnement, d’abord. Et puis aussi, par exemple…
Pour créer un logo
Mon blog en effet n’a jamais eu cette petite griffe stylisée qui, si l’on en croit les spécialistes, est indispensable à tout site web digne de ce nom.
Est-ce grave? Bien sûr que non.
En guise d’icône de site, j’ai d’ailleurs longtemps utilisé le détail de la plante qui pousse dans les interstices de béton, sur la photo qui illustre les Fantaisies depuis leurs débuts.
Ça faisait à peu près l’affaire et puis j’aime beaucoup l’image de cette vitalité verte, anarchique et pugnace, qui s’extirpe vaille que vaille de son carcan citadin. Je trouve que c’est une représentation parfaite de mes petites aventures.
Seulement voilà, en taille réduite, elle n’est pas très lisible, cette image. Quant à la traduire en design de marque, j’avais fini par renoncer, n’y parvenant pas.
Et puis récemment, fatalitas, en créant un profil « pro » sur Pinterest, j’ai de nouveau achoppé sur cette histoire de logo. De là, à la suite de je ne sais quels cheminements associatifs, j’ai atterri sur des générateurs d’image utilisant l’intelligence artificielle.
Tours, détours et retour
Certains sites encore gratuits il y a deux ou trois ans, comme Dall-e, sont désormais payants. D’autres se présentent d’abord comme libres mais exigent très vite la souscription d’un abonnement tarifé. D’autres encore sont assez limités, avec des rendus de qualité médiocre.
Après avoir atteint la limite de deux images gratuites par 24 heures sur ChatGPT, puis exploré quelques liens fournis par Google, je me suis arrêté sur le générateur de Microsoft, Bing.
Ce site est réellement gratuit ; on peut y produire des illustrations à l’infini, d’assez bonne facture, malgré les inévitables défauts résiduels inhérents aux images produites par l’IA.
Le texte que j’ai proposé en français a tout de suite pris une forme assez bluffante à laquelle on va revenir. Toutefois, je me suis aussi rendu compte que ce moteur restait bridé par une espèce de prudence politiquement correcte que les administrateurs appellent leur « stratégie de contenu ».
Ainsi pour obtenir l’image du savant de laboratoire qui figure plus haut, avais-je d’abord tapé le « prompt » suivant : Goebbels manipulant la réalité dans un laboratoire, film expressionniste noir et blanc. La requête a été bloquée. Idem pour mes milliardaires schizoïdes. J’avais renseigné Trump et Musk sur Mars se partageant la terre en riant, science fiction comics. Bloqués aussi.
Rageant.
J’ai voulu voir jusqu’où s’exerçait la censure. En bon mâle hétérosexuel cisgenre, j’ai donc tenté l’inévitable Vénus à poil.
Et vlan.
Bien décidé à ne pas m’en laisser compter, j’ai récidivé sur un autre site, Artbreeder, a priori moins corseté par l’hypocrisie WASP, et j’ai obtenu un résultat… séduisant.
Cela étant, pas d’emballement. Restons calmes.
Parce que si on agrandit suffisamment l’image, on découvre que cette splendide créature possède de nombreux traits monstrueux. Le bout de son nez, par exemple, ressemble à celui d’un grand brûlé ; sa main droite fait penser à de la bouillie de mortadelle et son ventre est troué d’un étonnant double nombril.
Et puis, comme pour les autres générateurs d’images, passées quelques vues gratuites d’Aphrodite en tenue d’Eve, bien propres à appâter le chaland, le site se bloque et présente l’ardoise en forme d’abonnement payant. Brave new world.
Retournons donc vers Bing, sourcils froncés, bien décidé à en finir avec cette histoire de logo.
Où j'obtiens un truc à coudre
Ne sachant pas bien par où commencer, j’ai testé des dizaines de possibilités en croisant mer, montagnes et rivières, évocatrices de plongée, de randonnées et de kayak.
J’ai obtenu plein de cartouches intéressants…
… mais aucun qui ne me convienne complètement.
J’ai donc fini par revenir à l’idée de l’herbe sortant des pavés, modifiant le texte du prompt jusqu’à obtenir des résultats très différents, beaucoup plus dessinés, circulaires, qui m’ont fait penser à ces écussons touristiques qu’on cousait autrefois sur nos sacs de mulets.
Tels que celui-ci par exemple.
Qui n’a certes rien d’un logo, mais que j’ai enregistré tout de même parce qu’il était tard et grand temps de refermer l’ordi. Qu’on en finisse.
Sauf que. Il m’est venu une idée, en forme d’épiphanie.
Le Voyageur
A temps perdu, dans ces intervalles de rêverie vaguement hypnotique qui me prennent les jours de pluie, quand, abandonné à la torpeur du canapé, je fixe au plafond le défilé de mes pensées nuageuses, il m’est arrivé, à propos des Fantaisies Buissonnières et de ses différentes rubriques, de songer plusieurs fois à une sorte de randonneur impossible, un explorateur composite, simultanément à pied, à vélo, en kayak, en scaphandre, et partout à la fois : en montagne autant qu’en rivière ou sous la mer. Un personnage que j’imaginais à la croisée des gravures des romans de Jules Verne, du catalogue Manufrance et de la description – ou plutôt, de la non-description – du très victorien Time Traveller d’HG Wells.
Et si… me suis-je dit, et si je confiais le soin à l’IA de lui donner enfin forme?
Dans la fenêtre de texte, j’ai donc renseigné, en gros, ce qui précède. Et après quelques tâtonnements, j’ai obtenu plusieurs images dont celle-ci.
Pour le rendu final, j’avais précisé : gravure dans le style de l’Illustration.
Génial, non?
Enthousiaste, j’ai généré quelques séries à la fois équivalentes et différentes selon les nuances que j’apportais au texte du prompt, sur le rendu par exemple, comme ici, où la gravure a été remplacée par un dessin au crayon.
NB : j’ai oublié de conseiller le personnage d’alléger son paquetage…
J’ai généré des dizaines et des dizaines d’images, en m’amusant à garder le principe du voyageur multisport, mais en variant les styles au gré des idées qui me venaient, telle cette couverture de catalogue de matériel de camping des années 50.
Le scaphandre ressemble un peu à un masque à gaz fabriqué dans une boîte de thon, mais enfin, le reste est pas mal.
Dans un registre différent, j’aime bien le style ironiquement pompier de la version suivante.
Je l’ai envoyé partout, ce malheureux Voyageur : je l’ai égaré dans les couloirs du temps, vers 1800, dans un décor aussi romantique qu’absurde.
Je l’ai déguisé en gentilhomme anglais du XVIIIème.
Expédié voir à quoi ressemblait la Renaissance du temps de Raphael.
Propulsé au Nouveau Monde ensuite, fin XIXème, dans un décor montagneux qui n’aurait pas déplu à Edwin Church.
Puis je l’ai ramené chez nous, au XXIème siècle, mais pour aussitôt, quel sadique, l’expédier en galère dans des jongles improbables.
Comme si cela ne suffisait pas, je l’ai même exilé un temps sur de lointaines exoplanètes.
A son retour d’outre-espace, je lui ai fait faire un crochet par l’Italie du XVIème siècle, ce qui a produit des images surréalistes.
Il en est revenu avec sa drôle de bulle, en plein bug spatio-temporel – fatalement, à force de sauter d’un univers à l’autre, on se mélange un peu les particules…
… et pour le récompenser de tous ces beaux efforts, j’ai gravé son profil de médaille à la Monnaie de Paris. Bravo champion.
Fasciné, amusé, happé, etc. n’en jetons plus, j’ai joué une partie de la nuit au gré de l’inspiration, croisant les accessoires composites du Voyageur avec des approches formelles différentes, issues de tout un tas de courants graphiques auxquels je pensais spontanément, comme ci-dessous, à la façon de Camera Work, la revue de photographie lancée à New York au tout début du XXème siècle par Alfred Stieglitz…
… ou bien à l’imitation des illustrations en couleur des explorations aventureuses publiées par les magazines des années 50, Life ou Match.
J’ai joué en noir et blanc…
… en sépia…
En couleur, depuis l’hyperréalisme…
… jusqu’au n’importe quoi débridé.
Bref, plusieurs centaines d’images plus tard, en proie à une sévère insomnie, j’avais bien trimballé ma marionnette mais je n’avais toujours pas trouvé de logo, ce qui était tout de même l’enjeu de départ.
Ballot.
A ce sujet, de toute façon, difficile de compter sur l’IA pour en produire un qui reprenne le nom du site, elle est définitivement fâchée avec l’orthographe.
Au lit, donc, la tête farcie de visions délirantes.