Le voyageur hypermoderne3 mn de lecture

J’ai découvert cet essai sociologique en flânant dans une librairie, au sortir d’une expérience de voyage connecté, la première de mon existence, laquelle a de plus débouché sur ce blog. On comprendra que le propos de l’ouvrage m’ait fait froncer le sourcil droit.

Je l’ai donc entamé, puis acheté et lu dans la foulée. Captivant.

En questionnant un certain nombre de voyageurs, les auteurs à leur tour s’interrogent : comment quitter son quotidien, son entourage, rompre avec ses habitudes, éprouver l’ailleurs et l’inconnu, ce qui était certes déjà l’apanage du voyageur moderne, mais tout en demeurant relié dans le même temps, par le biais des nouvelles technologies, à ce que précisément on entend mettre à distance ? 

Comment le voyageur 2.0 compose t-il avec cet ensemble de données paradoxales, contradictoires?

Question passionnante que je ne m’étais au vrai jamais posée, parce que je suis issu d’une génération où l’entrée dans l’âge adulte s’est faite sans ces moyens de communication qui signent, depuis vingt ans, ce que les deux auteurs qualifient d’hypermodernité – terme qu’ils explicitent en renvoyant à ses sources conceptuelles.

Lors de mon tout premier voyage, par exemple, à dix-huit ans, j’avais envoyé seulement deux cartes postales à mes parents, en un mois, dont une expédiée à l’orée de l’Irlande de Nord alors en guerre et sur laquelle je leur écrivais avec un enthousiasme un rien naïf que mon ami Olivier et moi mettions le cap sur Derry pour mieux comprendre ce qui s’y passait. Mes parents, restés en France, affolés par les actualités de l’époque, s’étaient au final raisonnés avec fatalisme : pas de nouvelle, bonne nouvelle – même si, au vrai, à mon retour, ils s’étaient ouverts rétrospectivement de leur inquiétude et m’avaient reproché de n’avoir pas même songé à utiliser une cabine téléphonique pour les rassurer.

Ce voyage avait été une véritable coupure : autonomes, libres, nous étions tout entier à ce que nous vivions et n’avions à faire attention qu’à nous-mêmes – sentiment que je retrouve lorsque je marche seul en montagne, et que je vais précisément y chercher mais c’est une autre histoire.

Qu’en aurait-il été de ce voyage fondateur si j’avais eu le fil du portable à la patte? Je me connais, je l’aurais coupé. Du moins… Est-ce si sûr?

Dans leur essai, les deux auteurs recueillent les témoignages de globe-trotters, blogueurs pour certains d’entre eux. Tous confrontés à l’existence des nouvelles technologies et aux questions qu’elles leur posent : resté connecté? Se déconnecter? Comment? Et dans quelle mesure? Avec quelle pression de la part de l’entourage?

Dans la partie intitulée « les dilemmes du voyageur contemporains », certains sous-titres sont éloquents : « la solitude dans un monde connecté », « le choix du silence dans un monde bavard », « loin mais toujours là »…

Comment font donc ces voyageurs pour limiter l’irruption du connu, du familial, du quotidien, dans cet inconnu où ils ont choisi de s’aventurer?

Et bien certains, par exemple, se limitent à ce que les auteurs appellent un « micro-signal ». Il s’agit d’un texto, court, à sens unique, envoyé à intervalles réguliers et destiné à rassurer les proches : le routard va bien, il a encore toutes ses dents. Pas d’interférence ici : le monde laissé derrière soi ne vient pas contaminer l’exotisme, il ne remonte pas jusqu’à eux et demeure à distance, au propre comme au figuré. Le message n’a qu’une fonction informative. Déculpabilisante peut-être.

Les auteurs comparent également le blog à ce micro-signal : essentiellement dans son caractère descendant. Le rédacteur choisit en effet lui-même le moment de sa communication – après l’aventure du jour ou de la semaine. Car le blogueur informe toujours a posteriori, sous une forme plus dense que le texto sommaire, certes, mais qui, comme ce dernier, n’appelle pas nécessairement de réponse immédiate.

Pour autant, est-ce si simple ? Quelle visée inconsciente poursuit le blogueur? Quelle est la part de reconnaissance qu’il attend, malgré lui?

Et puis bien entendu, le message une fois publié, fini l’aspect strictement descendant  : un blog n’est pas un livre et les commentaires peuvent affluer, instantanéité des technologies obligent. Certes, libre alors au blogueur de les lire – ou pas – et d’entamer l’échange – ou pas. Mais alors, pourquoi tenir un blog plutôt qu’un carnet papier?

Quand je voyage seul, ce qui est majoritairement le cas, je me suis aperçu récemment que cette sorte de conversation, différée du fait de l’écrit mais qui donne l’illusion de l’instant, palliait la solitude de l’étape. Je m’en explique ici.

Et m’arrête là : si tu aimes, comme moi, réfléchir à cette époque baroque et passionnante dans laquelle nous vivons, je ne doute pas que le Voyageur hypermoderne t’embarquera dans ses filets – à bagages!

Le Voyageur hypermoderne, Eres Editions.

 

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