Vers le tronçon interdit… et au-delà!6 mn de lecture

J’aime bien paraphraser Buzz l’Eclair.

Bon. Gros programme aujourd’hui : lever à l’aube…

Au vrai, j’ai peu dormi. 4 heures environ. Je pensais être tranquille, loin des foules à klaxon, mais la proximité du canal m’a valu des pétarades de scooters sans échappement jusque vers minuit. Plus quelques hurlements avinés. Tout ce petit monde est parti vers une heure et je suis resté encore quelques temps à écouter des bruits dans l’obscurité : gargouillis, gloupements, coassements. Pas inquiétant. Intriguant, plutôt. Puis j’ai sombré dans le sommeil sans m’en rendre compte.

Après un frugal petit déjeuner de muesli croustillant mangé à même le Ziploc, suivi d’une ration d’eau tiède puis d’un passage aux toilettes du bout de l’île, où la pente au-dessus de l’eau conjuguée à deux minces troncs d’arbre empoignés m’ont fait un parfait ouatère, j’ai plié bagage et repris la rivière dans une lumière magnifique.

Passé ce pont de chemin de fer – la ligne Gare de Lyon-Montargis – je me dirige vers les anciens passages de canoë, déserts.

Succession de petits rapides très agréables, dans une eau peu profonde mais suffisante.

Pour passer, tout en restant assis dans le kayak et en comptant la dérive, vingt centimètres suffisent. J’ai mesuré avec une pagaie. Continuons.

Sympa, non? Ce méandre débouche sur le bien nommé Beau Moulin.

Porte d’entrée du Tronçon Interdit. C’est du moins ce qu’affirme l’article de la République de Seine et Marne que ma femme a découpé quelques temps avant mon départ et dont j’ai parlé ici.

J’ai positionné IphiGéNie sur un agrandissement adapté – 1 centimètre pour 80 mètres – mais pour l’instant, la rivière offre un visage paisible.

J’appréhende un peu le déversoir de Portonville, dont l’article parle en des termes effroyables. On verra.

Tiens, en parlant de déversoir, voici celui du moulin de Glandelles.

Pas bien méchant. Passage à la corde, un peu de marche dans l’eau, embarquons à nouveau.

A la suite. J’arrive en vue d’un autre déversoir qui fait barrage. Ma carte m’indique qu’il s’agit de celui de Portonville. Méfiance. Mais rien. L’eau coule un peu plus rapidement à droite, chemin naturel qui mène à une zone de calme que j’emprunte.

Et c’est tout.

Je viens de passer la brèche, qu’on voit ici à droite. La berge est en effet un peu creusée – on y voit d’ailleurs le courant, au pied – mais rien de fâcheux. J’ai connu plus rock n’roll dans le haut des gorges de l’Hérault. Bon, j’imagine qu’après un gros orage, ça peut être mouvementé. Mais aujourd’hui, franchement, le débit, ici : une rigolade…

Cela étant, en quelques jours de pagaie, j’ai également appris à mieux « lire » la rivière et à maîtriser mes dérapages, à utiliser des mouvements en apparence contradictoires avec la trajectoire mais qui compensent utilement la force de l’eau. Ce qui explique sans doute que je n’ai pas trouvé ce passage très complexe.

Le pont de Bagneaux marque la sortie du Tronçon Interdit. Lequel était court, finalement.

On notera le souci altruiste du grapheur, qui ne tient pas à ce que les touristes se perdent.

Je poursuis mon chemin en regardant les cabanes, sur la berge.

Le tout avec une belle lumière dorée sur les saules.

Je passe un moment, amusé, à observer des poussins de poule d’eau, boules de duvet noir tout fin qui jouent, pataudes, sur des feuilles de nénuphar.

Le Loing longe ensuite quelques habitations dont je me demande si elles appartiennent encore à Bagneaux ou bien déjà à Nemours.

A Nemours, sans doute, puisque j’y arrive très vite, avec une vue magnifique sur le château depuis le déversoir du moulin rive droite.

J’accoste au pied du château et je demande à un jeune rasta de veiller sur mon kayak pendant que je vais acheter des cigarettes.

Je discute un moment avec lui, à mon retour. Il porte encore des traces bleu-blanc-rouge de la veille, une vilaine croûte sur la joue et a visiblement dormi sur son banc. J’ignore si c’est un fêtard ou un SDF et du coup, je n’ose pas lui demander si je peux le prendre en photo. Timidité idiote. Il aurait sûrement accepté.

Je remplis ma poche à eau dans le Loing, avec mon filtre, j’ajoute deux pastilles désinfectantes – précaution en forme de ceinture et bretelles mais l’eau est à ce point claire que je vois une perche courser un petit poisson qui saute hors de l’eau, suivi de la perche qui joue les orques de rivière – puis je repars.

Le canal du Loing et la rivière sont un moment contigus. Le paysage me fait prématurément penser à la Seine, pourtant encore éloignée.

Je longe des silos, plus imposants que ceux de Châtillon-Coligny, preuve s’il en fallait que les péniches ne transportent pas que du gravier.

Puis je passe sous l’Autoroute du Soleil et je regarde les véhicules, amusé du décalage entre leur vitesse et la mienne.

Au barrage de Moncourt-Fromonville, j’obéis à un panneau qui m’enjoint de prendre à tribord. Je suis désormais en territoire balisé – fini l’exploration aventureuse – mais je ne tiens absolument pas à tenter le diable en franchissant ce barrage à clapet.

Pour en savoir plus sur ce type de barrage, qu’on reconnaît à ses vérins hydrauliques, et son incompatibilité mortelle avec le canoë-kayak : allez faire un tour ici.

Je comprends mal ce que m’indique ce panneau, croyant qu’une glissière se cache à gauche.

Mais non. Il n’y a que l’écluse. Ouverte, cela dit. A la mémoire de toutes celles que j’ai dû contourner péniblement, je la traverse en ricanant.

Avant de comprendre qu’il n’y a pas de glissière et que je dois faire demi-tour, penaud.

Je débarque donc au pied du panneau et retrouve la rivière.

De l’autre côté du barrage.

En photographiant ce cormoran, je fais l’inventaire de tous les oiseaux que j’ai vus depuis que je suis sur le Loing.

Des canards colverts, beaucoup – j’ai remarqué à cette occasion que la cane, pour éloigner l’intrus de sa couvée, a une technique géniale : elle simule la faiblesse en battant péniblement des ailes sur l’eau, comme si elle était blessée, mène ce jeu environ trois cents mètres pour attirer celui qu’elle pense être un prédateur, puis, quand elle juge la distance du nid suffisante, elle décolle, effectue un virage sur tranche et regagne son point de départ. Maline.

J’ai vu également quantité de hérons cendrés, une dizaine par jour, que je ne suis jamais parvenus à prendre en photo. Des cygnes aussi, dont un couple avec un cygneau au plumage encore gris. J’ai découvert que les cygnes, au décollage, font un bruit incroyable d’hélicoptère : leurs ailes battent comme des pâles – ftaf ftaf ftaf ftaf – et ils fusent ensuite dans un bruit difficile à décrire. « Fusent » est encore le verbe qui décrit le mieux ce son.

Qu’ai-je croisé d’autre? Des oies bernaches, que j’ai effarouchées malgré moi et qui se sont aussitôt envolées en passant très près de moi.

Des poules d’eau, noires de jais avec le bec rouge. Un geai aussi. Pas de martin-pêcheur, hélas, même si je sais qu’il y en a.

Plus des centaines d’autres, que je n’ai pas vus, mais dont les sifflements dans les arbres ont égayé ma promenade.

A Moncourt-Fromonville, des demeures somptueuses ont remplacé les cabanes.

Sur quoi, je suis arrivé en vue du magnifique pont de Grez sur Loing. J’avais initialement prévu de m’arrêter à Grez pour l’étape, mais il n’était que midi et j’ai pensé qu’au rythme où j’allais, je pouvais aussi bien être chez moi dans la soirée.

J’ai donc franchi le pont et continué ma route, longeant d’autres propriétés superbes – au sens étymologique du terme : orgueilleuses.

A Montigny, deux jeunes gars sur le déversoir m’apostrophent en exhibant leurs bouteilles de gnôle.

– Deux étoiles! On est les champions! brament t-ils d’une voix éraillée.

– Il paraît, leur réponds-je en souriant.

Je passe la glissière puis contourne la baignade, peu fréquentée en ce lundi de gueule de bois nationale, et je me retourne pour contempler un temps Montigny.

Avant de poursuivre ma navigation au fil du courant qui me porte, en admirant les maisons dont je me demande, toutefois, quelle tête a fait leur rez-de-chaussée lors de la crue de 2016.

Vers la réserve de Sorques, je double un groupe de canoës de location – les seuls que j’ai croisés tout ce temps et qui semblent n’en être qu’à leur découverte circonspecte de l’engin – puis je m’arrête sur une plage de galets.

Et là, je m’aperçois que je suis rincé. A bout de force. Les ampoules sur mes mains, qui ne me gênaient guère jusqu’à lors, me brûlent. J’ai terriblement faim d’autre chose que de cacahuètes grillées ou de fruits secs et beaucoup plus envie d’une bière que de l’eau tiède de ma poche à eau.

J’inventorie, navré, quelques marques de mes passages dans les ronces…

Je tire le kayak à l’ombre, me baigne – me lave serait plus exact – dans l’eau fraîche, puis je grignote sans y trouver de plaisir et ouvre IphiGéNie.

Je ne suis plus très loin de Moret, ni de mon but – la confluence – mais j’ai  initialement prévu de regagner Fontainebleau par la Seine et d’accoster au port de plaisance d’Avon, après Valvins. Or, outre que je sens que la force va me manquer, la présence sur la carte de la grosse écluse de Champagne me refroidit.

Que faire? Au rythme où je descends, je devrais atteindre Saint-Mammès à 16h30.

Je décide d’appeler mon vieil ami Jean-Christophe. Il habite Thomery, non loin de mon point de chute. S’il n’est pas parti en vacances…

Le téléphone ne passe pas. Les textos, si. Quelques échanges plus tard, rendez-vous est pris. Super!

Ragaillardi, je remonte dans le kayak et j’ai tôt fait d’arriver à Moret.

Je passe la bouillonnante glissière du moulin sous l’oeil amusé des badauds, qui n’attendaient que ça, puis je m’engage vers le canal.

La présence de péniches m’indique que la Seine n’est plus très loin.

Le canal s’élargit et je peine face au vent, dans une petite risée contraire qui me donne du fil à retordre.

Je longe des embarcations colorées.

Puis j’aperçois la passerelle de Saint-Mammès, qui marque le terminus de cette exploration.

Luttant contre le vent, modeste mais rude à mon échelle, j’avance péniblement et je débouche enfin à la confluence, là où le Loing se mêle insensiblement à la Seine. But!

Dernier accostage.

Pliage du matériel avec l’aide de Jean-Christophe – ça nous rappelle quelques aventures communes d’il y a presque trente ans – puis bière en terrasse pour fêter ça.

Le cafetier est un ancien parent d’élève, de l’époque où j’étais en poste non loin d’ici, mais j’ignore s’il m’a reconnu. J’ai une de ces têtes, cela dit. Faim aussi, absolument.

Jean-Christophe me dépose chez moi et je me jette sur le frigo.

Ahhhhhhhh…

Sur quoi, douche fraîche et au lit à 18h00 pour 14 heures de coma réparateur!

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