Je te propose d’aller explorer les cenotes de la région de Mérida, au Mexique, des grottes immergées moins connues – et parfois beaucoup moins accessibles – que celles que l’on trouve autour de Tulum.
Ce récit est complet, c’est à dire assez long. Tu peux le lire à ta guise en entier, dans son déroulement journalier, ou bien butiner à ta guise en passant par le sommaire.
Par ailleurs et en guise d’avant-propos, si tu souhaites en savoir plus sur les cenotes, je te conseille la lecture de l’article ci-dessous.
Sommaire
Playa, le retour
Jusqu’au milieu des années 80, Playa del Carmen était un petit paradis méconnu fréquenté par quelques routards qui se refilaient le tuyau. En 96, quand j’y ai séjourné pour la première fois, même si ça n’avait déjà plus rien à voir avec le village de pêcheurs originel, c’était encore paisible, une petite ville constituée de quelques hôtels et de cabanes dans le sable, où planter son hamac.
La deuxième fois que j’y suis passé, en 2008, pour aller prendre le ferry qui m’amenait plonger à Cozumel, je n’ai pas reconnu les lieux. Il y avait un Mc Do sur la rue parallèle à la plage!
La vue de l’embarcadère et de ses abords est un bon indicateur visuel de cette évolution.
Années 80 :
Puis en 1996.
En 2008, ensuite…
… et en 2021 enfin, embouteillé dès 8h00 par les files d’attente pour prendre le bateau.
Et oui.
Allez : arrêtons de jouer les vieux cons et filons déjeuner puis présentons-nous au club, Phocéa Mexico, pile en face de l’hôtel qui lui appartient – c’est commode.
Comme pour refermer la boucle temporelle de mes souvenirs mexicains, j’apprends que l’agence Phocéa Mexico a été fondée par un marseillais moustachu, Henri, installé à Playa de longue date et avec lequel j’avais plongé en 96. Drôle, non?
En route!
Je fais la connaissance de mon accompagnateur, Thibault.
Moniteur spécialisé dans les immersions spéléo, il va cumuler pendant une petite semaine la triple casquette de directeur plongée, guide culturel et… pilote de pick-up. D’ordinaire, ce tour se fait en effet avec un chauffeur mexicain, Willy, mais comme je suis seul, Thibault s’est vu privé de cette compagnie utile. Ce qui fait que même s’il connaît bien les sites dans lesquels on va plonger, il m’avoue qu’il compte aussi sur Google Map pour ne pas trop galérer sur les pistes yucatèques. On verra bien. C’est parti!
Un petit arrêt pour prendre des fruits et des jus. Guanabana pour Thibault, sandia para mi, gracias…
De l’essence pour le coche…
Des blocs gonflés à l’air et au Nitrox pour respirer sous l’eau…
NB : ici, les clubs ne disposent que rarement de compresseurs. On trouve donc dans la forêt des stations de gonflage impressionnantes, très pratiques également pour les moniteurs qui travaillent en free-lance et peuvent ainsi venir se fournir sans avoir à passer par une structure précise.
Un nouvel arrêt à Tulum, au carrefour des routes pour acheter des sandwiches au pollo pibil – recette du Yucatán à base d’achioté, une pâte orangée qu’on retrouve dans toute la Caraïbe mais dont les mayas font un usage immodéré…
Et on s’enfonce dans la forêt en suivant une route rectiligne.
Punta Laguna
La réserve de Punta Laguna, sur notre itinéraire, permet de se familiariser avec l’environnement local.
Passée la visite du petit musée…
… on marche dans la forêt tropicale, dense mais peu haute dans cette région du fait des sols calcaires et acides.
On s’arrête chez le chamane, pour une bénédiction maya aux senteurs de copal.
Puis on s’en va, amusé, observer les singes-araignées – d’une élasticité prodigieuse.
Après quoi, nouvelle petite marche pour parvenir au bord d’un lac qui me rappelle un peu celui du site archéologique de Coba – voisin d’ici. Au bord de cette étendue d’eau : des canoës.
Qu’on emprunte, évidemment.
Pour retrouver sur l’autre rive une amusante tyrolienne. Je me demande si cette étape ludique ne permet pas accessoirement aux moniteurs, lorsqu’ils embarquent des groupes dans cette expédition, de tester l’aisance corporelle des participants. Si j’étais à leur place en tout cas, c’est ce que je ferais. Vieille manie que la mienne, de toujours avoir un oeil ou une pensée sur la situation d’encadrement.
Sauf que pour l’heure, et c’est l’avantage d’être pour une fois vacancier : banzaï rigolard.
De là, reprise des canoës, autre marche et descente à la corde dans un premier cenote, sans les bouteilles. Masque et tuba, pour l’instant. La seule photo que je suis parvenu à prendre d’en bas est fort médiocre.
Voici un meilleur aperçu du cenote depuis le bas. Pas mal, hein?
Au bas de l’échelle, ambiance cavernicole où volettent des chauves-souris. Le soleil tombe du plafond et dessine sous l’eau une belle colonne de lumière. Petites apnées rafraichissantes à la lampe. Et premiers ossements d’une longue série à venir.
Cenote Chihuan
Sur la route de Mérida, se trouve le cenote Chihuan. Thibault me confie que cette grotte se plonge d’ordinaire au retour, à la fin du séjour, mais comme nous y sommes, autant y aller, non?
Absolument.
On s’arrête donc devant une maison qui fait bar-épicerie.
On entre, puis on descend à la cave, dans la touffeur de la chaleur humide qu’amplifie encore la grotte.
J’aperçois des baigneurs en maillot. A la cave? Etrange.
En bas des marches, au fond, on débouche en effet sur une plage de gravier bordée par une margelle de piscine. Dans l’eau, des gens barbotent en gilet de sauvetage… Surprenant!
Au milieu des roches, des spots immergés éclairent l’eau douce.
C’est très différent de ce à quoi je m’attendais. J’avais en tête des images de cavernes à ciel ouvert comme celle-ci :
Je me demande donc à quoi ça va ressembler là-dessous.
Ma toute première plongée dans un cenote! Un baptême – laïc – en quelque sorte. Je ne prends que mon petit appareil photo de secours, pour ne pas être gêné, et par ailleurs, encore un peu jet-largué, je galère pour régler mon ordinateur en mode Nitrox. Du coup, sans m’en apercevoir, je fais une fausse manip’ sans gravité, mais qui va augmenter la perte totale de repères que je vais ressentir dans quelques instants. Sur quoi, foin de détails, gilets vidés, nous nous enfonçons. Et là…
Dingue!
A ma grande surprise, nous voilà flottant en apesanteur dans l’obscurité d’une immense baume ornée de stalactites et de stalagmites!
Les quelques rares photos que je tente sont immanquablement foirées. Pas assez de lumière malgré les phares puissants de Thibault. J’emprunte donc le cliché suivant – pris dans un autre cenote mais qui donne une idée globale assez fidèle à mon impression première.
J’ai l’impression de planer dans l’un de ces prodigieux avens qu’on trouve en Dordogne, ou ailleurs, et que la montée des eaux aurait soudain envahi.
Thibault me montre les fils d’Ariane qui nous guident, puis il éclaire des ossements humains. Un crâne maya, reconnaissable à sa forme particulière.
Les mayas pratiquaient en effet les déformations crâniennes, comme on peut le voir sur le profil de l’un des personnages de cette fresque.
La contemplation de ces restes humains vieux de plusieurs siècles, dans cette ambiance d’exoplanète où l’on sent bien peser l’échelle géologique du temps, confère à cette première plongée une coloration vertigineuse.
A laquelle s’ajoute de plus une sorte de trouble cognitif. Thibault m’a en effet dit que notre profondeur max ne dépasserait pas les 16 mètres. Or, sur mon ordi péniblement éclairé à la lampe, je déchiffre le chiffre 40. Je suis narcosé? Pourtant pas l’impression. Bizarre. Je n’y comprends rien.
De retour en surface, comme au sortir d’un rêve troglodyte, j’exprime ma surprise et mon enthousiasme. Quelle plongée déroutante, belle, fascinante, perturbante, inattendue! J’adore.
– On est allé profond, non?
– Heu… non, répond Thibault. 17 mètres au plus.
– Ah?
Je fronce les sourcils en regardant de nouveau mon ordinateur, et je m’aperçois alors que, tout à l’heure, sans m’en rendre compte, j’ai basculé le système métrique en mesure anglo-saxonne. A 15 mètres, je lisais donc 40 pieds. Le couillon! Tout s’explique.
Un peu de tourisme
En quittant Chihuan, nous reprenons la route ponctuée d’habitations éparses…
… et nous nous arrêtons un temps pour nous promener dans la belle ville jaune d’Izamal.
Nous entrons ensuite dans les faubourgs de Merida, en suivant les détours étranges que nous fait prendre Google Map.
Contrairement à Playa del Carmen, la capitale du Yucatán n’a pas changé en vingt-cinq ans. En son centre, en tout cas. Si la périphérie s’est considérablement étendue, le coeur de ville est demeuré le même que dans mon souvenir. Maisons colorées et basses, dans le style colonial espagnol.
Carrefours photogéniques dans les lumières du couchant.
Nous prenons nos quartiers dans nos chambres respectives, à l’hôtel Colonial, pour les prochaines nuits à venir…
… puis nous ressortons profiter du soir en attendant de trouver un restaurant qui ne soit pas complet. Quête ardue, d’autant qu’un couvre-feu sanitaire impose la fermeture à 22 heures.
Tout au long des cinq jours que nous passerons ici, quand nous reviendrons le soir après les plongées dans la jungle, je flânerai en retrouvant des images semblables à celles que j’ai gardé en mémoire.
Les gens qui vont et viennent aux pieds de la vieille cathédrale espagnole.
La cathédrale elle-même. Massive. Coloniale. Que je ne peux m’empêcher de penser comme une brutalité féodale poussée de force au jardin d’Eden…
La grande place principale.
Les rues périphériques, dans leur jus.
Celles plus colorées, quand on approche du centre.
Les arcades…
… qui donnent sur des placettes ornées d’arbres séculaires, où sont dressées des terrasses…
… idéales pour boire un coup en attendant une table à la Chaya Maya – le restaurant préféré de Thibault.
J’aime beaucoup Mérida. Une ville authentique que le tourisme de masse n’a pas défigurée, et dont la tranquillité réelle contraste avec d’autres villes mexicaines.
Pourquoi cette atmosphère paisible? L’absence de gangs mafieux?
Non. Bien au contraire.
Les cartels ont concentré leurs familles à Mérida, où ils ont conclu une espèce d’armistice local, histoire de ne pas retrouver madame et les enfants criblés de balles à la sortie de l’école. Tout simplement. Glaçant.
A petit matin, tandis que les habitants attendent les transports en commun dans l’agréable – et relative – fraîcheur matinale, nous quittons l’hôtel.
Avant de sortir des faubourgs, nous en profitons pour prendre des fruits et de la glace.
J’adore fouiller des yeux ces étals exotiques. Ces légumes…
… me font irrésistiblement penser aux deux papis râleurs du Muppet Show.
J’aime aussi le parfum de ces piments habanero, qu’on retrouve dans toutes les sauces locales, incendiaires.
Plus loin, nous achetons des jus de fruits allongés d’eau purifiée, que vendent des marchands ambulants qui circulent avec ces vélos-triporteurs qu’on voit un peu partout.
Puis nous quittons progressivement le noeud routier principal et nous roulons sur des routes secondaires pour rejoindre notre sherpa maya, Denicio, qui nous accompagnera au premier cenote de la journée et nous aidera à y descendre les blocs à la corde.
Cenote Yax-ha
Denicio vit dans le village de San Antonio Mulix, où se trouve le puits dans lequel Thibault a prévu de plonger.
Hélas! Denicio lui explique que le puits en question est troublé par les pluies récentes. Mercredi dernier, il est en effet tombé des trombes par ici. Ah zut. On va quand même voir, mais bof.
Denicio conseille donc un autre cenote, plus excentré : yax-ha, dont il garantit la clarté. Allons-y.
Il nous faut toutefois passer d’abord à l’ancienne hacienda Cacao, pour y prendre les clefs.
Bon. Allons-y, bis.
Cacao a dû être un centre opulent, jadis, du temps où son exploitation de sisal tournait à plein. Aujourd’hui, il reste des ruines et des maisons éparses entre lesquelles traînent des chiens efflanqués. Tout y a un air de passé décrépit, qui n’est pas sans charme.
Même le zócalo – littéralement, le socle, tirant son nom du support qui soutient les statues et qui constitue le centre incontournable de toutes les villes mexicaines, quelle que soit leur taille – même le zócalo, donc, a des airs abandonnés.
Denicio galope de masure en masure, jusqu’à trouver le responsable local caché au fond d’un hamac.
Au bout d’une demi-heure, enfin nantis des clefs, nous voilà repartis dans la forêt.
Sur la bonne route, indubitablement.
A l’arrivée : pas foule. L’endroit a le même aspect que l’hacienda, à l’image de cette vieille chaise de surveillant de baignade rouillée dont la présence est ici incongrue.
Le trou dans le sol est étroit, équipé d’un petit escalier.
Nous descendons voir à quoi ça ressemble…
… et je me prends une dizaine de châtaignes électriques au bord de l’eau. Ping, ping, ping! En rafale. « Avispas negras » me dit Denicio en me montrant l’espèce d’outre beige claire pendue à la roche, à l’entrée, que je n’avais pas vue : un nid de guêpes noires!
Des petites, teigneuses. Et qui n’ont attaqué que moi : c’est vexant. Désagréable aussi. Je sors donc illico en secouant les bras – et en disant peut-être un ou deux gros mots.
Dehors, Thibault un brin navré me dit que jamais personne ne s’est fait piquer ici. Je le rassure en riant : moi, j’ai un vrai feeling avec le monde animal – et ça me fera de surcroît un souvenir aussi marrant qu’unique. Et la sensation de brûlure passe très vite.
Sur quoi, nous retournons à la voiture nous équiper, tandis que Denicio bricole un bout de bois et du papier journal et s’en va enfumer les pauvres insectes qui n’en demandaient pas tant.
Nous retournons dans la grotte. Pas de ponton ici : la mise à l’eau se fait en sautant des roches glaiseuses et glissantes.
Nous nous enfonçons lentement sous l’eau, lampes allumées.
Galères photographiques
On a déjà pu voir plus haut, à Chihuan, que la photographie en plongée spéléo ne s’improvise pas. C’est déjà compliqué en mer, avec ou sans la lumière naturelle, mais dans l’obscurité des grottes : gageure!
Pour me simplifier la vie, j’ai de surcroît un beau matériel tout neuf qui ne m’est pas encore familier. Mon appareil est toujours le même, mais il est enfermé dans un nouveau caisson nanti d’une chouette lentille grand angle qui devrait me permettre de produire des clichés de professionnel. A quoi s’ajoute un flash en remplacement de mon ancien phare.
Les premières vues sont prometteuses, qu’on en juge :
J’ai oublié de faire rentrer de l’eau avant de visser l’objectif sur le caisson – l’air résiduel produit la bulle qui dédouble l’image – et le flash éclaire les particules.
Ah.
Pendant que Thibault s’enfonce dans une galerie, je règle d’abord le problème de l’air dans la lentille en la dévissant pour faire entrer l’eau, tout en veillant à ce qu’elle ne m’échappe pas des mains. Pas simple, d’autant que je ne peux pas tirer la langue dans le détendeur. Mais bon, j’y parviens.
Restent hélas plusieurs soucis techniques. La lumière pour commencer : sans flash, c’est d’un joli flou baveux. Abstrait à souhait..
Et puis je ne comprends pas d’où vient ce vignetage monstre – les ombres parasites noires aux quatre coins – de même que ces vilaines barres grises sur le côté.
Dépité, avec le sentiment d’être trahi par mon nouveau – et coûteux – matériel, je décide de l’éteindre et de profiter de la plongée sans plus chercher à l’immortaliser. Non mais.
Ambiance grotte, comme à Chihuan. Au centre du cenote, l’effondrement du plafond a produit un tumulus pyramidal. Sur les côtés, dans des passages qui, sans être vastes, permettent une circulation aisée, des sculptures de calcite ornent plafonds et parois.
Sur une pente, je montre à Thibault un truc étrange : un gros cylindre de pierre qui ressemble à un chapiteau de colonne. Le bloc a des faux airs de tambour. Thibault le filme avec sa petite Go-pro à la lueur de ses phares.
Depuis les galeries, on aperçoit la lumière naturelle. C’est de toute beauté, d’autant que l’eau est cristalline. Je tente une nouvelle photo.
Super cliché. Bientôt viral sur Instagram. Au moins.
En fin de plongée, tout de même, je parviens à produire quelque chose d’à peu près propre. Je me suis aperçu que les barres verticales provenaient d’une mauvaise orientation du pare-soleil associé au hublot. Rectification faite, reste le vignetage mais, bon, il y a du mieux. Non?
De retour à la surface, nous nous déséquipons dans l’eau et nous reprenons pieds en nous halant sur une corde à noeuds.
Thibault revient sur le cylindre de pierre en forme de chapiteau. Il ne sait pas ce que c’est et n’en a jamais vu de semblable dans aucun cenote. Mystère.
Cenote Kankirixche
Combis nouées à la taille, nous reprenons la piste pour arriver à Kankirixche, un cenote moins confidentiel que Yax-ha.
On y acquitte un péage à l’entrée et on y trouve des toilettes rustiques. Une dizaine de voitures sont garées sur le parking. Descendons voir.
En bas, comme souvent dans la plupart des cenotes, des baigneurs flottent en gilet de sauvetage.
Essentiellement des mexicains. Parfois quelques touristes étrangers.
Nous plongeons. Dans les premiers mètres, sous la surface, l’eau est un peu laiteuse. Je m’applique avec l’appareil.
Le contraste entre ces arbres morts et la lumière du soleil, à la surface, est photogénique à souhait.
Plus bas, l’eau redevient claire et transparente. Mes photos sont encore floues, mais je sens que je progresse. Un peu.
Ce n’est pas encore tout à fait au point, mais ça rend pas trop mal l’atmosphère dans laquelle nous évoluons.
La roche est couverte d’un sédiment brun, pulvérulent. Parfaitement équilibrés, nous faisons attention à ne rien toucher avec nos palmes pour ne pas troubler la limpidité.
Nous naviguons de part et d’autre du fil d’ariane…
Je suis intrigué par ces plaques d’argile, qui forment comme les éléments d’une mosaïque éclatée.
Au léger toucher, ce qui semble a priori de la faïence se révèle mou, comme de la pâte à modeler. Drôle.
Je m’amuse également de l’aspect des faisceaux lumineux que Thibault tient dans chaque main. On dirait des sabres-lasers.
Nous descendons jusqu’à 42 mètres.
Puis nous remontons lentement, croisant au passage quelques ossements d’animaux, ou d’êtres humains, tels ce tibia – NB : je joue les connaisseurs mais il n’en est rien ; c’est Thibault qui me l’enseigne en surface, l’ayant lui-même appris après que des plongeurs, médecins, ont établi avec précision la nature de cet os ambré.
L’eau redevient laiteuse à mesure que nous approchons de la surface et de ses plafonds dentelés de grosses stalactites de calcite – qui démontrent que ces cenotes ont, à une époque très lointaine, été hors d’eau.
Nous emmergeons, ravis. Ces plongées souterraines sont vraiment incroyables. Au risque de me répéter : aussi géniales que différentes de ce à quoi je m’attendais.
Une fois changés et le matériel ramassé, nous retournons manger à San Antonio, chez l’habitant. Parfait : affamés!
Sauf qu’une succession de malentendus téléphoniques plus tard…
Il s’avère que rien n’est prêt.
Pas grave. Nous déposons Denicio chez lui puis, en bordure de la route principale qui mène à Mérida, nous stoppons dans un routier. La jeune serveuse est très agréable, mais son accent est tel que je ne comprends strictement rien à ce qu’elle me raconte. Je lui adresse des sourires de benêt et me fie à Thibault pour m’éclairer dans les mystères de la carte.
Après quoi, nous regagnons Mérida pour un passage à la station de gonflage d’Adventure Tours – une structure de plongée spécialisée dans les cenotes locaux que nous retrouverons le dernier jour.
En attendant Thibault, qui s’échine à calculer le nombre de blocs dont nous avons besoin – gonflés à l’air pour les plongées à plus de 40 mètres, au Nitrox pour les moins profondes, le tout multiplié par le nombre de jours d’autonomie qu’augmentent encore deux cenotes par jour, sans compter les imprévus – j’étudie un poster qui montre tout ce que qu’on peut trouver dans les grottes.
Notamment des petits isopodes blêmes – ici désignés par la flèche jaune – qui cavalent comme des fantômes sur les fonds sableux, et que je suis pas parvenu à photographier.
En parlant de photo, je réfléchis aussi à mon problème d’ombres parasites. Sourcils froncés, je regarde la bague sur laquelle j’ai vissé le hublot. Cette couronne est en fait prévue pour adapter ma lentille macro. Mais pas le grand angle. Je ne sais pas pourquoi je me suis mis en tête de l’y visser aussi, c’est idiot. Je l’ôte et fais un essai dans la rue : bingo!
Reste un léger vignetage que j’attribue au fait qu’on n’est pas sous l’eau, mais c’est considérablement mieux. Bien. Vivement demain.
Cenote Kalkuch
Au deuxième jour, cap sur la petite ville de Sabacche, où nous récupérons un nouveau sherpa escorté de ses fils.
Sur la place centrale, comme dans le moindre village mexicain, se trouve un beau terrain de basket, désert.
Ces plateaux de sport, aussi omniprésents que systématiquement boudés par les habitants, amusent beaucoup Thibault. Il n’a jamais vu personne y jouer et se demande donc quelle politique saugrenue a pu décider d’implanter ces installations inutiles – et ce d’autant que les mayas mesurent en moyenne un mètre soixante, taille peu propice aux carrières en NBA.
Le cenote que nous voulons explorer sur trouve au bout d’une piste accidentée.
Parfois envahie de vaches qui ne se pressent pas pour se pousser.
Enfin, nous y sommes.
Avant de nous équiper, nous allons voir le gouffre. On y parvient en passant par une passerelle d’acier agrémentée de planches qui ne sont plus toutes jeunes.
Au centre, suspendu, un escalier métallique en colimaçon plonge dans le vide sur une vingtaine de mètres.
Comme il n’est fixé qu’en haut, même plombé par des corps-morts, il oscille méchamment à mesure qu’on descend. Drôle!
En bas, un ponton permet une mise à l’eau facile. Plongeons. Et découvrons tout de suite une nouvelle ambiance, incroyable.
Les rayons du soleil jouent sur d’improbables dunes de sable fin et blanc qu’on croirait échappées d’un scénario d’anticipation – Le Sahara en l’an 5000, après la montée des eaux, par exemple.
C’est de toute beauté!
Photogénique en diable.
Après avoir fait le tour des dunes, en spirale, on s’enfonce en longeant la roche.
Fouillant à la lueur des phares.
Découvrant des tas de reliques. Osseuses le plus souvent.
En pagaille.
Faute des connaissances anatomiques appropriées, je ne sais pas toujours à quelles créatures appartenaient ces squelettes. Animales, pour l’essentiel.
Même ce fémur – si tant est que ce soit bien un fémur…
Pas de crâne maya en tout cas. Les animaux ont dû tomber de là-haut, en d’autres temps, et se noyer.
Nous remontons lentement, en suivant le soleil.
Puis nous émergeons sur le ponton.
Tandis que le sherpa remonte les blocs, nous regagnons le pick-up. Collation : jus, mangues… Je découvre aussi la saveur sucrée – et inconnue pour moi – de la chair de la guanabana ponctuée de grosses graines noires, noyaux vernissés qu’on crache dans les hautes herbes.
Cenote Nah-ya
Les abords du second cenote de la journée ressemblent à ceux de Kankirixche : un parking bosselé dans la forêt, pas mal de voitures, des baigneurs locaux.
L’accès se fait grâce à un escalier de bois accroché à la roche.
Sous l’eau, on retrouve un peu des sables du cenote précédent, mais sans l’ambiance dunaire. Des ossements de bovins, aussi.
On délaisse le sable pour descendre jusqu’à 50 mètres…
…explorer des galeries dont la roche est incroyablement travaillée par le temps.
Au plafond, nos bulles d’air s’étalent en petites flaques qui ressemblent à du mercure.
Puis on revient vers le puits central.
Je prends une photo en tentant bon gré mal gré de capturer la magie des rayons du soleil qui dessinent depuis la surface une belle colonne de lumière…
… puis je me retourne pour voir où Thibault est passé.
Et je prends une grosse claque!
Ses phares éclairent une incroyable paroi verticale, une draperie immense, rouge sombre, veinée de blanc.
Je ne suis malheureusement pas équipé pour rendre l’impression prodigieuse que me fait cette falaise engloutie. Il faudrait un très grand-angle et quelques centaines de milliers de lumens de phares : bref, du lourd. Du talent, peut-être aussi.
Alors, je triche, en essayant de jouer des effets d’échelle, mais ça ne rend pas ce que je souhaite.
Qu’importe. Nous longeons la roche, puis nous remontons en nous dirigeant vers les grandes stalactites qui pendent des surplombs.
On se redirige vers la colonne de lumière – et va t’en savoir pourquoi, je pense aux modules de téléportation extraterrestres qu’on voit dans les films de science-fiction…
Je m’empresse évidemment de tester cet ascenseur alien. Et hop, wow! Ça marche!
Hey, Mulder? Scully? V’nez voir, faut que je vous montre un truc…
Et nous voici en surface.
On n’est pas toujours à notre avantage au ras de l’eau – pardon Thibault – mais on peut y échanger à chaud. Par exemple sur cette vision incroyable de la draperie-falaise qui, lorsqu’elle s’est dévoilée, m’a fait penser à ces parois abruptes en montagne, qui se révèlent quand se déchire le banc de brume dans lesquelles elles étaient noyées et qui s’imposent alors comme de magistrales apparitions verticales. ENORMES.
Autant de magie, ça creuse. Direction Sabacche pour le restaurant.
Roots. D’ailleurs, ça s’appelle un restoroot. Je sais, le calembour est osé… Pardon. Où en étions-nous?
Ah oui. A table.
Pour me faire plaisir, Thibaut a commandé de l’iguane.
Et bien c’est très bon, l’iguane. La texture pourrait être celle d’une volaille : pintade plus que poulet. Quant au goût, difficile à décrire. Mais accommodé comme à présent, dans une marinade, c’est vraiment succulent – et très différent de l’idée qu’on s’en fait.
Nous réglons le repas en visitant les cuisines…
… et, sur la route du retour, nous nous arrêtons visiter Mayapan.
Cette cité maya communiquait autrefois avec ses voisines, Chichen Itza et Coba.
Le guide nous présente le site et nous parle, entre autre, des nombreux cenotes qui s’y trouvent. A la perspective de tous ces trous remplis d’eau, Thibault s’interroge.
-Se busean? demande t-il le plus sérieusement du monde. (« On peut y plonger? »)
Ce qui me fait beaucoup rire. Et Thibault aussi, après coup. A cause du côté plongeur obsessionnel : un trou rempli de flotte dans la jungle? Vite : à l’eau avec les blocs et les lampes!
Nous poursuivons la visite en nous dirigeant vers la grande pyramide.
En 96 et 2008, j’avais pu gravir les escaliers très raides de celles de Chichen et Coba. Hélas, leur accès est désormais interdit en raison de cette insupportable manie contemporaine du risque zéro.
Ici, à Mayapan, au moins a-t’on encore le droit d’y grimper. Profitons-en!
La vue au sommet permet d’embrasser tout le site, cerné par la forêt, et de mieux mettre en perspective les explications écoutées en bas. Notamment celles concernant ces arcs de cercle empierrés, désignés par la flèche jaune, qui constituaient en fait un observatoire astronomique.
Cenote Dzonbakal
Le lendemain, après nous être arrêtés en bord de route prendre les fruits, de la glace et les sandwiches…
… nous faisons un peu de route…
… et nous parvenons à l’entrée du site de nos deux cenotes du jour.
Commençons par Dzonbakal. Sur le parking, hormis nous deux, un américain, seul, qui vit à Mérida et vient s’entraîner ici à installer des fils d’ariane. Allons-voir l’entrée du puits. Un escalier, un ponton, parfait : la mise à l’eau sera confortable.
L’eau est d’une clarté extraordinaire.
Au-dessus comme au dessous.
Pas de sédiment et une roche d’une magnifique blancheur, qui renvoie la lueur des phares de Thibault tandis que nous enfonçons dans le gouffre. Sublime!
Nous descendons dans la galerie principale…
A mesure que nous progressons, les passages se font plus étroits.
A 54 mètres de profondeur, nous faisons demi-tour. La roche est prodigieusement travaillée : par endroits, on dirait de la crème fraîche épaisse.
Nous remontons lentement vers le puits principal.
Où nous découvrons des fragments de poterie vieux de plusieurs siècles.
La marque de doigts n’est pas la mienne. J’imagine qu’un autre plongeur-photographe, probablement surlesté, aura maladroitement dû s’appuyer sur le sable pour se stabiliser, laissant ainsi son empreinte de cosmonaute dans ce paysage lunaire.
En remontant en spirale, nous saluons ce très vieux crâne à la déformation typique…
… puis je m’amuse des formes fantastiques de la roche et des stalactites de calcite. Ici, ne dirait-on pas quelque T-Rex hilare?
Encore une fois, quelle plongée!
Cenote X-batun
Chaque cenote possède son identité propre. Ils sont tous différents, de sorte qu’en les découvrant, on ne sait jamais à quoi s’attendre.
Au bord d’X-batun, on rencontre davantage de monde. La matinée est avancée et une vingtaine de baigneurs barbote dans une eau laiteuse, turquoise, bordée de nénuphars au pied d’une falaise d’où pendent les longues racines des arbres.
La grotte s’enfonce sous la muraille de calcaire. Nous nous mettons à l’eau dans le bassin sableux puis nous coulons.
Les premiers mètres sont troubles, mais dès une dizaine de mètres de profondeur, ça va déjà mieux. Cela étant, la luminosité est moins bonne qu’à Donzakal et je renoue avec les photos floues. Grrr.
En me retournant pour observer la lumière du jour, en surface, je m’aperçois qu’il y a deux entrées. Leurs deux tâches bleues dans l’obscurité me font penser aux yeux d’une sorte de moloch d’un autre monde. Je m’applique, mais je ne parviens pas à les rendre aussi nets que je les vois. Frustrant.
Au fond, vers 35 mètres, l’eau est redevenue d’une belle clarté de piscine. Nous circulons dans les nombreuses galeries en suivant les lignes.
Découvrant de ci de là quelques poteries…
… ainsi que des os, animaux probablement.
Puis nous remontons lentement vers la surface et les nénuphars, dans une ambiance embrumée et végétale.
Grutas Tzabnah
Et ses 13 cenotes. Un festival? Voire.
En effet, on n’y plonge pas. Il s’agit ici d’une petite promenade terrestre, au cours de laquelle je m’imagine trouver un peu de fraîcheur de cave. Quel naïf! On n’est pas en Dordogne…
En fait de climatisation naturelle, il fait en effet là-dedans une touffeur prodigieuse. Je ruisselle.
Au début, le guide maya nous précède dans une grande grotte sombre, à l’obscurité rapidement totale – en dehors des lampes. On devine un premier lac souterrain, au fond d’un gouffre vertigineux envahi de chauve-souris.
Puis les grottes s’étrécissent. Nous abandonnons nos tee-shirts pour traverser un cours d’eau souterrain et nous remontons ensuite dans des boyaux étroits.
TRES étroits.
Les piles de ma petite lampe, usées par les plongées précédentes, n’éclairent plus grand chose et la transpiration goutte sur mes verres de lunettes – autant dire que j’y vois rien – tandis que nous rampons dans une chaleur de hammam, le dos griffé par des petites saillies de calcite. C’est moyennement ludique.
Au bout, la surface d’un nouveau cenote forme un lac aux belles eaux transparentes. Un jeune couple de touristes est déjà là, avec un autre guide. Des français – lesquels ont la manie notoire, commune aux allemands, de s’aventurer hors des sentiers battus.
Au plafond de la grande voûte, un trou communique avec la surface et laisse passer le soleil.
Nous nous mettons à l’eau pour nager jusqu’au bout du petit lac et voir s’il s’y trouve une galerie. Il semblerait, en effet.
– Se bucea? s’enquiert Thibault auprès du guide, resté sur la berge glaiseuse.
A priori non, à ce que je comprends. Exploration tentante pourtant! On pourrait descendre les blocs et le reste du matériel, à la corde, par le trou. Cela étant, ramper dans les passages serrés en combinaison de plongée, je n’ose même pas y penser.
Après la baignade, nous repartons serpenter – au sens premier du terme – dans les tunnels puis nous sortons, allégés de quelques litres de sueur. Furieuse promenade!
Cenote Kanun
Après un ultime dîner à la Chaya Maya, amélioré de cocktails pour le dernier soir, nous rendons au matin les chambres et nous roulons ensuite vers le dernier cenote.
Lequel se trouve au bout d’une piste…
… qui nous amène aux ruines d’une très ancienne hacienda mangée par la jungle.
Sur une plateforme, en haut d’un escalier…
… se trouve un vénérable puits : notre entrée du jour.
Nous avons rendez-vous avec un plongeur d’Aventure Tours accompagné de deux mayas pour la logistique de cordiste.
Mais d’abord, avant de descendre voir de quoi il retourne là-dessous, il faut s’équiper.
En pleine forêt, par 35 degrés à l’ombre et 90% d’humidité, je recommande chaudement le port de 5 millimètres de néoprène avec cagoule.
Heureusement, on ne tarde pas en surface.
L’antique maçonnerie du puits fait une dizaine de mètres au plus…
… et s’élargit ensuite au plafond d’une très grande voûte colonisée par les chauve-souris.
Ambiance batcave.
Où l’on croise donc logiquement le Batman. Et oui.
Nous nous laissons descendre dans la cavité, jusqu’à 37 mètres.
Partout, on retrouve les plaques d’argile déjà observées ailleurs qui forment ces mosaïques naturelles.
Cela étant, l’ambiance cavernicole n’est pas l’intérêt principal. Ici, l’attrait, ce sont les innombrables traces du passé.
Les ossements d’animaux sont en grand nombre, probablement tombés dans le puits à différentes époques.
On peut voir aussi nombre d’objets en fer, datant de l’époque coloniale. Des seaux, notamment.
On peut facilement imaginer que la corde qui les retenait pour aller puiser l’eau s’est rompue. A tant de reprises, d’ailleurs, que le tumulus central est constitué d’autant de pierres et de sable que de couches de fer rouillé que le temps a fondu puis aggloméré à l’ensemble.
On trouve également nombre de poteries antiques, certaines en parfait état.
D’autres à l’état de fragments.
Et puis surtout, en circulant dans l’obscurité de la grotte…
… on rencontre des ossements humains. Parfois juste des crânes, si vieux qu’ils ont pris une teinte de rouille, eux aussi.
Parfois accompagnés d’éléments de squelette complémentaires.
Dans certains cenotes, deux types de restes humains cohabitent : ceux qui résultent de sacrifices et que l’on peut reconnaître à des traces de couteau d’obsidienne, ou à d’autres écrasements d’évidence assez violents – quoique peut-être accidentels.
Et d’autres, sans trace, décédés de mort naturelle, qui semblent avoir été l’objet de rites funéraires à des périodes de basses eaux.
Je suis incapable de faire la différence entre sacrifiés, accidentés et inhumés, et ce d’autant que ce puits me paraît avoir été difficile d’accès depuis toujours.
Reste que le nombre de crânes est impressionnant. Reliques paradoxales : ces têtes semblent aujourd’hui des presque objets, dans la nuit liquide, alors qu’elles ont pourtant été le siège de consciences humaines, anciennes, étrangères. C’est troublant. Emouvant.
Il arrive aussi que le hasard d’un positionnement rende l’un de ces crânes expressif, à la mexicaine – très « dias de los muertos »…
A l’image de ce crâne qu’éclaire la lampe de Thibault.
Et dont la vision rapprochée me conforte dans mon impression première : hilare le gars.
A s’en décrocher la mâchoire.
Après une cinquantaine de minutes – ou plusieurs siècles? – nous refaisons surface. Je mousquetonne mon harnais et remonte en premier, halé depuis la surface, suivi de Thibault.
Kanun, clou d’une série de plongées incroyables dans l’inframonde maya, restera pour moi comme l’un des souvenirs les plus forts de cette semaine extraordinaire au coeur du Yucatán.
Playa, le retour du retour
Nous reprenons la route vers Playa del Carmen. Croisant au passage quelques petites villes pittoresques.
Bordées des incontournables – et magnifiques – flamboyants.
Petite halte sous la pluie soudain battante pour déguster un poulet grillé. L’enseigne du resto est explicite.
Puis nous retrouvons la route de l’aller, le carrefour de Tulum, les abords de Playa, et son coeur enfin, en approchant de la mer.
Je prends possession de ma chambre et remercie Thibault pour cette semaine incroyable, puis, avant d’aller visiter, demain, deux célèbres cenotes de la région de Tulum, je m’en vais flâner un peu, à la recherche du passé, en commençant par cette sublime plage de sable blanc bordée d’eau turquoise dont j’ai gardé le souvenir et où, en 96, Posada Corto Maltese, je le prenais cool.
Hélas, trois fois hélas!
La plage est envahie de sargasses qui rendent les eaux chocolats et pourrissent sur la grève, parfumant l’atmosphère d’une odeur répugnante d’oeuf pourri qui baigne toute la ville.
Playa del Carmel et le tourisme de masse n’y sont pour rien.
Depuis 2011, et en augmentation chaque année après un pic spectaculaire en 2018, ces sargasses sont devenues un véritable fléau sur toute la Caraïbe : de la Floride au Guatémala, en passant par les Antilles, aucune terre n’est épargnée et les plages paradisiaques se couvrent de cet odorant et encombrant fumier.
Un certain nombre d’explications ont été données – notamment la pollution du fleuve Amazone par l’agriculture intensive du Brésil, conjuguée à un courant marin naturel en provenance d’Afrique de l’ouest – mais en réalité, personne ne sait vraiment pourquoi ces algues dérivantes, célèbres pour se retrouver au milieu de l’Atlantique, se concentrent aujourd’hui sur les côtes caribéennes.
Si cela t’intéresse, tu peux lire cet article du CNRS qui réfute l’hypothèse du rôle des grands fleuves.
L’impact de ces algues sur le tourisme est évident. Entre une mer phosphorescente et ce bouillon brunâtre, même les habitants du coin hésitent avant d’aller jouer dans l’eau.
Dès lors, que reste t-il à faire? En attendant de plonger, s’entend. Et bien mais… profiter du décor hollywoodo-atlantidéen, pour commencer.
Puis s’en aller arpenter les boutiques de souvenirs, toujours de très bon goût.
Outre les magnets pour toute la famille, on trouve aussi quantité de masques de catch. Curieux.
C’est peut-être en rapport avec les offres spéciales que proposent les pharmacies?
Bon. Chou blanc pour les courses, mais on va aller se boire une bière en bordure de plage pour finir la visite, hein?
Casa cenote
Je retrouve Thibault le lendemain, de nouveau seuls tous les deux puisque le client américain qui avait réservé a annulé. Nous voilà donc repartis en binôme – et comme je le dis en riant à Hugo, un autre moniteur, ce n’est pas comme si on n’était pas habitué!
Plutôt qu’un cenote, il s’agit ici de ce qu’on appelle une caleta. L’érosion, en faisant s’effondrer les différents ponts calcaires entre les puits, a créé à ciel ouvert ce grand réservoir d’eau douce par endroits mélangé d’eau salée.
Le lieu est beaucoup plus fréquenté que les cenotes du Yucatan, proximité de Tulum oblige, mais c’est large et la mise à l’eau est de toute beauté.
Et puis surtout, ce qui fait le charme unique de Casa Cenote, c’est la mangrove qui le borde et lui confère, sous l’eau, une magie très singulière.
Des crabes bleutés, que je n’ai vus qu’ici, cavalent sur les roches moussues.
Les racines de la mangrove, la lumière du soleil, les roches blanches, l’eau transparente, tout est absolument magnifique!
Par endroits, le relief dessine des canyons immergés…
Ou bien des grottes encore, dont le plafond est constitué de la terre retenue par la mangrove.
Si l’on fait surface, pour observer cet écosystème au ras de l’eau, on peut apercevoir Pancho. Du surnom que les moniteurs lui ont donné. Placide, sur son reposoir habituel. A priori inoffensif.
Ce qui est drôle avec cette vision, c’est le panneau sous lequel Pancho prend le soleil, et qui enjoint les baigneurs de ne pas s’asseoir sur les banquettes rocheuses.
Tu m’étonnes! On peut même se demander, en y réfléchissant, de quoi il se nourrit, l’ami Pancho… Redescendons, hein?
Et promenons-nous dans les galeries qui serpentent sous la mangrove.
Au bout d’une heure, toutes les bonnes choses ayant hélas une fin, émergeons de ce drôle de rêve éveillé.
Encore une fois, et tout en n’ayant rien à voir avec les immersions précédentes, quelle plongée incroyable!
Mais ce qui nous attend sur le site suivant est encore plus dingue.
Angelita
Le temps de passer prendre un poulet grillé…
… et nous arrivons à Angelita. Nous croisons de nouveau la femme de Thibault, elle aussi monitrice, que nous avons rencontrée à Casa Cenote et qui vient de remonter avec ses clients, plus deux apnéistes américaines qui ont fini leur immersion et papotent.
Seuls sur le ponton. Top.
La particularité d’Angelita est son nuage de souffre, à environ trente mètres de la surface, comme indiqué par la flèche jaune.
Ce nuage est dû à différents facteurs : disons pour faire simple que la décomposition lente des végétaux par les bactéries, qu’amplifie encore l’halocline – au-dessus du nuage, on trouve l’eau douce, en-dessous, l’eau salée – forme un banc gazeux d’où émerge le centre de l’effondrement, dans une atmosphère onirique, irréelle.
Allons voir!
On descend assez vite, dans une atmosphère verdâtre, jusqu’à apercevoir la brume.
D’où dépasse le sommet du tumulus hérissé d’arbres morts.
Sur quoi, gilets soigneusement vidés pour ne pas rester bloqués dans la brume – du fait de la différence de densité eau douce/eau salée – nous plongeons dans l’inconnu.
La traversée de cette nappe de gaz est incroyable : la sensation est assez semblable à ce que l’on éprouve en voiture, lorsqu’on entre d’un coup dans un banc de brouillard épais. Perte totale de tous les repères!
En-dessous, c’est clair, mais la lumière est différente. Toujours verte, mais d’un autre monde.
Le passage à travers le nuage laisse en bouche un goût de souffre très perceptible.
Nous descendons jusqu’au fond, qui est à 55 mètres. Pas grand chose à voir. Nous traversons donc de nouveau le nuage et nous tournons autour de l’île que forme le sommet du tumulus.
L’ambiance est extraordinaire.
De-ci, de-là, les phares de Thibault éclairent des fragments de poterie.
Après avoir longuement fait le tour de cette île étonnante, nous remontons explorer quelques galeries trouées dans les parois du cenote.
J’aime bien l’image que dessine la sortie de celle-ci, en forme de coeur. Elle résume parfaitement cette semaine.
I ❤️ cenotes!
Deux conseils matos
La combi : 5 mm avec cagoule : dans les cenotes du Yucatan, l’eau est plus fraîche que dans ceux du Quintana Roo – 22 à 23 degrés en moyenne.
Botillons : je n’avais pris que mes palmes chaussantes d’eau chaude, que j’utilise pied nus, et j’ai galéré : les approches nécessitent des semelles pour les pieds tendres comme les miens, et les botillons sont donc très pratiques si on ne veut pas jongler avec des sandales. Ce qui reste jouable, évidemment, mais s’avère mal pratique au possible.
Remerciements
Tiphaine, de l’agence spécialisée H20, qui s’est occupée des modalités du voyage.
L’équipe de Phocéa Mexico, pour son accueil et sa bonne humeur.
Et Thibault, évidemment, qui a tenu son triple rôle avec brio et sympathie!
Quelle(s) merveille(s) et quelle expédition aventureuse impressionnante! J’admire, Patrick, le cran qu’il faut…et la passion!!
Merci pour ce magnifique partage!
Merci Hélène! C’était en effet assez extraordinaire.
Salut Patrick,
Super, on voyage sans bouger… Je finis juste un bouquin de Mike Horn… et je me retrouve dans la même ambiance 😉Profite bien et à bientôt pour des choses plus terre à terre
Hello Thierry, merci de ton retour. C’était tout de même plus confortable que certaines équipées de Mike Horn 😅