Larche – Refuge de Vens9 mn de lecture

Quatrième étape du trek Génépi Lavande, juillet 2024

Par les lacs de Morgon et le col de Fer. 24 kilomètres, 1850 mètres de dénivelé positif, 12 heures et demie.

Réveillé comme d’habitude par les premières pâleurs de l’aube, je sors de la tente à cinq heures – comme la marquise de Paul Valéry l’eût fait en son temps. Si elle avait campé, évidemment. Car elle ne campait pas, la marquise, sinon sur ses positions et heu…

Pardon, où en étions-nous?

Ah oui : café, biscuits, vitamine C, pliage du réchaud, du camp, du sac, et en route : il est six heures et quart. Banzaï.

La route monte sur cinq kilomètres jusqu’au parking qui dessert le vallon du Lauzanier.

Elle n’est pas désagréable cette petite route déserte, bordée de vieux mélèzes aux racines saillantes dont les formes paraissent animales.

Elle est longée de prairies fleuries…

… elle passe du bord à l’autre d’un torrent chantant… 

… tandis que les crêtes au loin attrapent les premiers rayons de soleil.

A partir du parking, j’entre dans le Parc du Mercantour. Une première pour moi. Je lis les panneaux informatifs, lesquels me renseignent sur la faune et la flore locales, notamment sur la Reine des Alpes, ou le chardon bleu.

Le chemin est d’abord une large piste bordé de clôtures agricoles et de fleurs sauvages.

… puis, passée cette maison, dans laquelle je me verrais bien profiter à l’occasion d’une coupure bienfaisante avec le tumulte du monde…

… la piste se fait sentier et monte en passant au soleil.

Je suis doublé à un moment par trois jeunes d’allure banlieusarde, à l’accent du Midi, puis, tandis que je me suis arrêté pour me mettre en short, j’aperçois en arrière un couple de randonneurs qui montent à ma rencontre.

Je songe qu’avec la proximité du parking, il est logique de croiser des gens. Cette promenade dans le vallon et jusqu’au lac doit même être très fréquentée en journée.

Je reprends le chemin, agrémenté par endroits de marches qui servent autant à la progression qu’à limiter l’érosion.

Les pentes sont peuplées de marmottes, vraisemblablement très habituées aux promeneurs car elles ne fuient pas. Voir même, elles posent!

J’atteins le lac – magnifique – au bord duquel se trouvent les jeunes méridionaux qui m’ont dépassé dans la montée. 

Je m’éloigne et vais me poser sur une berge engazonnée. Là, je mets tente et duvet à sécher puis je file me tremper les pieds dans les eaux fraîches.

Petite parenthèse matérielle : la plaque noire que tu vois au premier plan est le dos amovible de mon sac à dos. Super pratique : pour poser mes fesses un peu partout, ou mes chaussettes sans les salir quand je passe du pantalon au short, ou bien encore à l’entrée de la tente en paillasson, et même en support lombaire pour faire quelques étirements en fin de journée. Un super accessoire!

Pendant que mes pieds trempent, je suis abordé par une guide du parc qui me demande gentiment si j’ai campé là. A ma réponse négative, elle me rassure en affirmant que j’aurais pu mais qu’il aurait été en revanche un peu tard pour remballer, ce dont je conviens : je connais la règle des Parcs Nationaux – on peut bivouaquer entre 19h et 9h, à plus d’une heure de marche à l’intérieur des limites du Parc ou du dernier accès automobile.

Nous engageons la conversation sur mon trajet et je profite de ses connaissances pour l’interroger sur la brèche Borgonio. On m’a parlé d’éboulis impraticables. Ah? Non, pas à sa connaissance. C’est très raide mais elle n’a pas eu vent d’un quelconque écroulement rocheux.

Bon. Je l’interroge également sur les lacs de Lignins, mon avant-dernière étape. Je tombe bien : elle connaît par coeur ce secteur, relativement éloigné d’ici, car elle y a travaillé 25 ans avant d’être sur le Lauzanier où nous nous trouvons. Elle me confirme hélas l’agressivité des chiens de protection là-bas. La petite municipalité de Colmars, sur le territoire de laquelle se trouvent les lacs, en est même venue à déconseiller la ballade aux touristes pendant les périodes d’estive.

Flûte. Il va falloir que je révise le trajet final…

Là-dessus, la guide m’abandonne : les trois pieds nickelés viennent de découvrir l’eau froide : ils poussent des clameurs suraiguës qui résonnent dans tout le vallon.

Je remballe mon paquetage et reprends le chemin.

Au-dessus du magnifique lac du Lauzanier, que je photographie à rebours en m’éloignant…

… la montée se poursuit.

Je traverse un petit torrent à plusieurs reprises, m’y rafraîchissant à chaque fois le visage qui chauffe…

Puis j’atteins un autre lac, celui dit de « derrière la croix », dernière oasis avant la montée pierreuse vers le Pas de la Cavale.

Je poursuis l’ascension.

En m’arrêtant pour retrouver du souffle – ou des jambes, mais c’est la même chose – j’aperçois les trois randonneurs de Maljasset en contrebas. L’un d’eux est très avancé, j’attends qu’il me rejoigne : c’est Philippe, qui était à la Bonne Fourchette hier en fin d’après-midi. Je reconnais également Gérard, lequel était, lui, au même camping que moi et que j’ai croisé ce matin juste avant de partir.

Nous partageons notre enthousiasme pour la sauvagerie et la beauté du lieu, puis je propose à Philippe de passer devant mais il décline : mon rythme lui convient. Nous reprenons donc l’ascension en file indienne.

Le col se rapproche…

Et voici le Pas de la Cavale.

Le passage offre une vue absolument incroyable, sublime, un balcon vertigineux sur la vallée et le sud du Mercantour.

Les deux autres compères nous ont bientôt rejoints et nous pique-niquons à l’abri du vent, en léger contrebas, abrités par les ruines d’une vieille construction.

De gauche à droite sur la photo : André, Gérard et Philippe.

Tandis que nous déjeunons, un point attire notre attention : un bouquetin, posé sur une roche à flanc de pente!

Peu farouche, il ne s’enfuit pas à notre approche. Il surveille en fait le petit groupe de ses congénères qui broute plus bas, dans les schistes.

Après la pause, nous nous séparons : André, à son aise en descente, déroule dans la pente très raide. Gérard et Philippe, quant à eux, progressent piane-piane. Moi, je me situe au milieu : ni trop rapide, ni trop lent, je suis concentré et attentif à bien poser chaque pied où il convient afin de ne pas me ramasser. Ici, il ne vaut mieux pas.

On m’interroge souvent sur le danger qu’il peut y avoir à randonner seul.

Je considère au contraire que c’est plus sûr qu’en groupe, généralement source de déconcentration, entre autres inconvénients.

Et la déconcentration, c’est l’antichambre de la gamelle.

En attendant de rédiger à l’occasion un article à ce sujet, je te recommande de visionner cette courte vidéo, dont l’auteur aborde le sujet avec mesure et intelligence. Je n’aurais pas mieux dit.

Reprenons.

Lorsque la descente se fait moins accentuée et rejoint une sorte de bosse, je quitte le sentier en mettant le cap au sud-ouest.

Les renseignements que j’ai trouvés sur cette étape proviennent du guide de Jérôme Bonneaux, la Trans’Alpes, un auteur que m’a fait connaître Maud, rencontrée dans l’Oisan.

Voici le descriptif que j’ai téléchargé :

« Après de nombreux lacets dans une section escarpée le sentier devient plus tranquille jusqu’à arriver vers l’altitude 2350 m. De là, quitter le sentier pour traverser direction E. Après avoir laissé un énorme trou sur la droite, passer aux côtés des lacs d’Agnel puis dévaler les pentes herbeuses direction S jusqu’à arriver à un vaste replat au pied de la Combe du Graillon. Traverser les différents torrents de ce replat en visant une croupe herbeuse direction SE. Remonter cette croupe en traversant petit à petit vers la droite jusqu’à rejoindre le vallon de la Cabane où l’on tombe sur une bonne sente cairnée. Suivre cette dernière qui remonte le Vallon de la Cabane pour finalement passer un ressaut rocheux qui amène au grand lac inférieur de Morgon. »

Précis, n’est-ce pas? Allons-y. Nous voici à la cote 2350. Cap à l’est, donc.

Les lacs Agnel sont au rendez-vous. Je délaisse la baignade, après hésitation, car il est déjà treize heures trente passées et je suis loin d’être rendu…

Ensuite, je m’oriente mal en allant trop à l’est, où ce qui me semble la pente naturelle m’entraîne malgré la boussole.

Du coup, j’arrive trop loin de mon point suivant et je suis obligé de remonter le lit du torrent à sec, ce qui me tord les pieds dans tous les sens. Bien fait pour moi : je n’avais qu’à être plus rigoureux dans ma navigation. Mais je râle, quand même.

Je retrouve la « croupe herbeuse », laquelle me propose son ascension fastidieuse à 35 degrés. Rien de véritablement érotique donc. Je dis ça à cause des connotations du substantif « croupe »… Je sais. Je divague. Bref. J’escalade cette pente engazonnée en soufflant.

C’est curieux, j’ai l’impression de manquer d’énergie. Voilà huit heures que je marche, certes, mais j’ai connu des étapes plus longues. Qu’est-ce à dire?

Enfin, je retrouve le vallon de la cabane et la « bonne sente cairnée » – comprendre : le soulagement d’un itinéraire retrouvé.

Ma gourde étant vide, je profite du torrent pour faire le plein d’eau filtrée. Il n’y a pas de crotte alentours, mais on n’est jamais trop prudent avec la flotte, comme je le rappelle dans cet article du Bazar.

Puis je continue ma progression vers les lacs de Morgon. Je croise des marcheurs dans un passage escarpé, avec lesquels j’échange un moment et qui – je ne sais pas comment cette préoccupation s’est invitée dans notre conversation – me refilent généreusement de la crème solaire.

Je n’avais emporté avec moi qu’un petit pot d’alu de 20 ml, fini depuis avant hier, et les parties de mon corps exposées au soleil ont viré au rouge écrevisse – bouillie l’écrevisse, évidemment.

Enfin, je parviens au premier lac de Morgon. 

Il est seize heures et je suis absolument seul. Je me déshabille donc et je m’abandonne à une baignade délicieuse et tonifiante.

En me séchant et enfilant de nouveau mes vêtements, je réfléchis au manque de « jus » que j’éprouve depuis quelques heures. Si mon dîner d’hier soir, à base de nouilles chinoises et de sardines à l’huile, m’a procuré sur le moment une sensation de satiété, en fait, et compte-tenu de la dépense énergétique énorme d’aujourd’hui, je constate qu’il ne m’a pas fourni assez de réserve. Idem de mon pique-nique au pas de la cavale, où les 4 tranches de speck et la demi-baguette n’ont pas complètement rempli les réservoirs de carburant. Les abricots secs et les biscuits grignotés ponctuellement m’ont fourni quelques pics de glucose, mais c’est tout. Ajoute à cela les trois dernières nuits de bivouac qui n’ont pas été d’une qualité réparatrice totale – comme souvent dans ces conditions, j’ai dormi en pointillés, de deux heures en deux heures – et tu comprendras donc que je me sente un peu « flottant », je n’ai pas d’autre expression pour décrire mon état. Pas affamé, ni épuisé, a priori. Mais « Flottant ». Légèrement perché. 

Je grignote un morceau de saucisson, quelques abricots secs, termine sur un comprimé de vitamine C pour me donner un coup de fouet et je repars.

Le lieu est fabuleux. Extraordinaire.

Il s’agit d’une succession de lacs en escalier, tous plus beaux et impressionnants les uns que les autres, dans une ambiance rocheuse unique.

A mesure que je progresse, seul dans ce décor grandiose, je suis pénétré d’une espèce d’impression teintée d’étrangeté fantastique, sans doute liée au mélange de la fatigue, de l’hypoglycémie légère et de mon imagination romanesque.

Le paysage où j’évolue me semble une sorte de produit croisé du Seigneur des anneaux et des romans médiévaux du cycle arthurien. Pour le dire autrement, je trouve le lieu « druidique ». Oui, oui, c’est le mot qui me vient. Ne me demande pas pourquoi ni d’où ça sort…

Je monte en passant d’un lac à l’autre.

Je crois pouvoir affirmer que de tous les endroits prodigieux des Alpes dans lesquels je me suis promené, celui-ci restera l’un de mes préférés. C’est unique. Vibratile. Sublime. 

Tout cela renforcé par cet état mental un peu « flottant » que j’ai décrit plus avant.

Dans l’un des lacs, l’avant-dernier, vivent de belles et grosses grenouilles grises et brunes. Je tente d’établir le dialogue. En vain. Elles sont prodigieusement snobs.

Je poursuis ma montée vers le Pas de Morgon – songeant au passage que c’est toujours dommage, quand on aime le Beaujolais, qu’il n’y ait pas de Morgon… 

Puis je dépasse le dernier lac – on dirait un bassin sacrificiel creusé dans la roche.

Et je continue de grimper en direction du col en suivant les cairns.

Je ne suis plus très loin à présent : j’ai une belle ligne de crête qui m’attend jusqu’à ce que je retrouve le GR au col de Fer. De là, il n’y aura plus qu’à descendre jusqu’au refuge de Vens. Allez!

Sauf qu’au bout de quelques centaines de mètres, le sentier disparaît sous des éboulis, freinant la progression. Je passe de bloc en bloc en choisissant les plus gros, c’est à dire les plus stables. 

Passé ce pierrier, un vent très violent souffle de l’est et balaie l’espèce d’arête sur laquelle j’évolue. Je peine à tenir le téléphone pour filmer ou photographier.

Je poursuis sur mon sentier escarpé, soufflé par le vent. D’où je suis, j’aperçois le col de Fer et l’autre chemin, celui que je vais rejoindre pour gagner les lacs de Vens, à la limite de l’ombre et de la lumière sur la photo ci-dessous.

Nous y voilà.

De loin, j’aperçois les silhouettes gothiques et ruiniformes des aiguilles de Tortisse.

La géologie est incroyable dans ce secteur. Au-dessus de moi, les roches érodées me font songer à des gargouilles…

Et que penser de cette arche naturelle qu’on dirait vitrifiée?

Paysage surnaturel. Fantastique. Au sens littéraire du terme. Tiens, avec mes pieds gonflés, pour un peu, je me prendrais pour un hobbit…

 La vue sur les lacs de Vens bordés de pins est sublime. C’est magnifique. La photo est hélas réductrice : en vrai, c’est presque irréel tant c’est beau.

Je me rends compte en contemplant le refuge en contrebas, et accessoirement en cherchant du regard une potentielle aire de bivouac, que je suis au bout du rouleau. Il est dix huit heures trente. J’ai marché plus de douze heures en comptant les pauses. Il est grand temps que ça s’arrête.

Je traverse les hautes herbes qui entourent le refuge et je débouche sur la terrasse.

Je demande au gardien s’il lui reste une couchette de libre – je sais que je n’aurai pas la force, après le repas, de descendre au lac monter le camp. 

Oui, il reste une place. Impeccable. Je fais une toilette de chat, vais poser quelques affaires sur la couchette en hauteur puis je redescends dans la salle commune, à temps pour le repas.

Je ne suis pas un convive hyper loquace, ce soir. A la première assiette de soupe, je prends toute la mesure de ma faim : je ne suis plus qu’un puits sans fond. Manger!

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